ANALYSES

Pourquoi les enjeux agricoles doivent être au centre de la COP 21

Tribune
30 novembre 2015
L’agriculture sera-t-elle au centre de la COP 21 ? Telle est la revendication de nombreuses associations, comme celles réunies à Paris le 17 novembre à la « Conférence climat des agriculteurs » (Afdi et AgriCord) avec des représentants d’organisations professionnelles agricoles de cinq continents.

Dans sa relation au climat, l’agriculture présente trois caractéristiques : elle figure parmi les responsables de son dérèglement, elle en souffre largement et elle est partie prenante dans la solution.

– Prise au sens large (cultures, prairies et élevage), l’agriculture est en partie à l’origine des risques qui la menacent. Elle contribue au changement climatique du fait de pratiques agricoles qui augmentent le « largage » de gaz à effet de serre. Elle déstocke du carbone dans le retournement des prairies, plus qu’elle n’en absorbe et n’en stocke comme puits de carbone. Elle représenterait ainsi 14 % des émissions mondiales d’origine anthropique (GIEC, 2015). Le calcul n’est cependant pas aisé. Il faudrait ajouter les émissions liées à la consommation des énergies fossiles associée à la mécanisation agricole, au transport, au conditionnement, à la congélation, ainsi que les émissions de CO2 et de N2O liées à la fabrication des intrants, et notamment des engrais azotés obtenus à partir de gaz naturel, et celles résultant de la déforestation par suite de l’accroissement des surfaces agricoles.

– L’agriculture souffre du climat. Elle enregistre des modifications dans les régimes pluviométriques et de températures, avec un accroissement de la fréquence et de l’intensité de phénomènes extrêmes. Elle pâtit tant de la désertification que des inondations, des impacts sur les ressources en eau et des nuisances provoquées par les parasites. Les répercussions sur l’agriculture sont d’ores et déjà évidentes. 
Malgré les incertitudes qui pèsent sur les prévisions, les scénarios anticipent, si des mesures d’adaptation ne sont pas prises, des baisses des rendements agricoles de 20 à 50 % à l’horizon 2050 pour les cultures céréalières. En zone tropicale par exemple, des cultures telles que le maïs et le coton sont déjà particulièrement sensibles à des températures supérieures à 30°C durant leur période de croissance. Une augmentation des températures de 2 °C correspondra à une baisse du rendement en grains du maïs de 15 %. L’impact sera toutefois moins sévère sur les cultures pouvant profiter de l’effet « fertilisant » de plus fortes concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère, comme le riz et le coton, si toutefois les conditions favorables sont réunies à savoir des pluies suffisantes et des sols de bonne qualité. Au cours des prochaines décennies, les effets péjoratifs du climat devraient s’accentuer, même si les projections ne permettent pas des prévisions fines pour chaque région. Par ailleurs, le changement climatique aura partout un potentiel de nuisance sur le secteur de l’élevage.
L’impact de l’accroissement des températures, de la variabilité de la pluviosité, les perturbations attendues sur les cycles des saisons et le raccourcissement de la durée de végétation auront pour répercussions une réduction des pâturages, un déficit du bilan fourrager et une détérioration des conditions d’abreuvement.

– Enfin, troisième caractéristique, il existe dans l’agriculture d’importants potentiels d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Compte tenu de leurs propriétés photosynthétiques, les terres ont un rôle stratégique majeur. Il est possible d’atténuer une part importante des émissions avec des actions en faveur d’une agriculture intelligente face au climat (AIC). Parmi celles-ci citons :
> la restauration des terres, des pâturages dégradés (phénomène qui touche particulièrement l’Afrique et l’Asie) et des sols organiques cultivés ;
> la maîtrise de la fertilisation avec le recours à l’azote organique plutôt qu’aux engrais minéraux;
> l’augmentation du rôle de la forêt en optimisant la substitution d’usages en aval, par les bioproduits (bois énergie, biocarburants, chimie verte…), et grâce à la dynamisation de la récolte forestière, au raccourcissement des cycles forestiers et au reboisement accru ;
> la réduction de la déforestation, la généralisation de bonnes pratiques de gestion forestière et le reboisement.
> enfin la séquestration de carbone (dans les sols et les produits de la biomasse), notamment par le recours à l’agroécologie et aux différentes formes d’agro-foresterie.

L’initiative en faveur de l’agriculture « intelligente face au climat » (Climate smart agriculture) propose un cadre conceptuel susceptible de relever simultanément les défis de la sécurité alimentaire et ceux du changement climatique. Promue à titre expérimental en 2010 par la FAO, elle vise« à aider à renforcer la capacité d’adaptation des systèmes de production et des communautés locales en cas de conditions climatiques difficiles et extrêmes ». L’objectif est de sélectionner un certain nombre de pratiques agricoles « intelligentes » à mettre en œuvre par les petits producteurs, sélection faite en fonction des situations agroécologiques et socioéconomiques. Lancée en 2014 par les Nations unies, l’Alliance pose un certain nombre de questions. Ne faut-il pas plus explicitement introduire d’autres éléments dans les « paquets techniques » envisagés, comme le respect des communautés de base et leur participation active via leurs organisations professionnelles ?

La France a de son côté lancé en 2015 un programme de recherche « 4 pour mille ». Le stock de carbone des sols étant deux à trois fois plus important que celui de l’atmosphère, augmenter la teneur en carbone des sols de 0,4% par an permettrait d’absorber l’ensemble émissions nettes actuelles de CO2. L’initiative vise à accroître la matière organique dans les sols et à restaurer les sols dégradés, valorisant ainsi le potentiel « puits de carbone » des systèmes agricoles et forestiers (INRA, 2015).

Quand bien même les capacités de stockage de CO2des sols sont sous-exploitées, il ne faudrait pas qu’une focalisation sur le seul carbone du sol entrave une analyse plus globale du modèle alimentaire dominant. Un certain nombre de questions sensibles doivent être abordées. La diminution du gaspillage alimentaire constitue un levier complémentaire par l’économie des émissions sur toute la chaîne alimentaire. Autre sujet, la surconsommation de produits animaux dans les pays les plus riches et les modèles d’élevage non herbagers, sachant qu’il faut de 4 à 12 calories végétales pour produire une calorie animale.

Face à tous ces défis, la position des organisations internationales est claire : « Il est temps d’investir dans des systèmes agricoles et alimentaires adaptés au changement climatique, avec des politiques adéquates, en utilisant les subventions existantes et les investissements pour adopter des mesures adéquates, en associant les acteurs privés, en appuyant la recherche appliquée en faveur de l’agriculture raisonnée et les services de vulgarisation agricole. » (David Nabarro, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la sécurité alimentaire, 17 novembre 2015).
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