Le Saint-Siège : Etat incontournable de la diplomatie mondiale ?
Interview
19 octobre 2015
Lorsque l’on en vient à parler du Saint-Siège comme un acteur de la diplomatie mondiale, il faut avant tout accepter certains paradoxes qui permettront ensuite d’évaluer sa véritable puissance. Car le plus petit État au monde représente aussi l’une des forces religieuses démographiquement la plus étendue de la planète avec une population de catholiques qui avoisine les 1,2 milliards de fidèles. De plus, à l’horizon 2050 ce nombre est encore appelé à croître moyennant un recentrage autour des continents du sud : Afrique, Amérique latine, Asie.
La figure du pape a toujours été à la jonction de ce paradoxe. À la fois chef d’État et chef d’Église, le pape dispose d’une légitimité internationale qui lui est d’autant plus reconnue que ses aspirations territoriales, après la fin des états pontificaux en 1870, sont désormais limitées à celles de l’État du Vatican, conformément aux accords du Latran (1929). Or, la faiblesse de cette assise territoriale est accompagnée d’un recentrement stratégique de son action sur la scène internationale au travers notamment de l’efficace maillage de ses nonciatures apostoliques (représentations diplomatiques). Réciproquement, en 2013, on ne comptait pas moins de 79 ambassadeurs auprès du Saint-Siège. Par contre, ce dernier ne possède aucune relation diplomatique avec une poignée d’États comme l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, la Chine, la Corée du Nord, etc. Pour le reste, sa neutralité dans la conduite des affaires du monde en fait un médiateur incontournable, comme dans le conflit au Mozambique dans les années 1990, voire plus récemment dans les pré-négociations entre Cuba et les États-Unis, ainsi que le faisait remarquer François Mabille, dans un récent article pour l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS.
Le Pape François est très présent sur la scène internationale et se positionne sur de nombreux dossiers. Comment définiriez-vous aujourd’hui la diplomatie qu’il exerce ? Avec quel succès ? Est-il en rupture ou en continuité par rapport à ses prédécesseurs ?
Le pape François poursuit la démarche de rayonnement international du Saint-Siège initiée au cours du Concile Vatican II (1962-1965) par son prédécesseur le pape Paul VI. Depuis lors, les papes ont tous été de grands voyageurs, conscients de la force de chacun de leurs déplacements sur l’opinion publique mondiale. Ces voyages agissent comme des caisses de résonnance sur des problématiques locales et internationales. Ce fait est d’autant plus vrai avec le pontificat du pape François, débuté le 13 mars 2013. Ce dernier jouit d’une opinion particulièrement positive qui lui vient sans doute d’une spontanéité naturelle non feinte et, en ce sens, assez peu diplomatique. Pour autant, il ne dit rien d’autre que ce qu’enseigne la doctrine catholique, comme ses prédécesseurs. Il incite davantage à interroger la doctrine en la rendant intelligible plutôt qu’en la niant. Il faut néanmoins noter une importante avancée doctrinale après la sortie de l’Encyclique sur l’environnement Laudato Si’ en mai 2015. C’est donc une question de style et non pas seulement de contenu.
Sur le plan proprement diplomatique, mon avis est contrasté. Car l’analyse précise du dernier déplacement papal à Cuba et aux États-Unis au mois de septembre laissait paraître quelques faiblesses, dues notamment à l’équation géopolitique régionale. Certainement l’enthousiasme était-il au rendez-vous à chacune des étapes de son voyage, jusqu’à son apogée lors du congrès mondial des familles à Philadelphie. Par contre, l’absence de référence à la question des droits de l’homme à Cuba, certaines omissions lors de son discours devant le Congrès américain sur la place de l’argent et du capitalisme dans le monde moderne, montrent bien que même le pape François ne peut se défaire parfaitement des contingences de la realpolitik. De plus, certains commentateurs ont pu regretter que les séquences proprement politiques de ce voyage, comme son intervention devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, étaient centrées sur un axe moral et non proprement religieux. Il n’en reste pas moins que l’action diplomatique du Saint-Siège agit comme un facilitateur dans les relations internationales, tout en restant engagé sur les questions de la promotion de la paix et du dialogue interreligieux et interculturel.
Le Saint-Siège est-il un modèle unique de diplomatie religieuse ou en existe-t-il d’autres comparables ?
Il est difficile de parler d’un modèle unique, même si aucune religion au monde ne peut se prévaloir d’une structure étatique qui lui serait propre. En ce sens, le Saint-Siège dispose à la fois d’une légitimité symbolique et d’un appareil stato-religieux qui lui permettent une puissance d’influence hors du commun. Il s’agit certainement d’un modèle unique, mais qui laisse des traces profondes, ne serait-ce que du point de vue du protocole, sur le traitement d’autres hauts responsables religieux. En tout état de cause, il existe une diplomatie religieuse à l’extérieur de celle déployée par l’Église catholique. Elle témoigne d’ailleurs d’une dimension parfaitement appréciée par les États du fait religieux lui-même, c’est-à-dire la capacité médiatrice de ses représentants, voire a contrario son instrumentalisation à des fins purement politiques.
Le fait religieux demeure donc une inspiration puissante des relations internationales. Certaines organisations s’en prévalent officiellement, comme l’Organisation de la coopération islamique. Mais il est utilisé comme un soutien symbolique, voire opérationnel dans certains cas, de la politique des États. Les responsables religieux ne sont alors plus des acteurs, mais plutôt des dispensateurs d’une légitimité liée au sacré. La place des religions sur la scène internationale dépend donc de ses accointances avec les différents pouvoirs politiques nationaux qui leur servent de force de projection. Il s’agit là d’une différence majeure avec le modèle porté par le Saint-Siège.