18.11.2024
Le rapprochement Corée du Sud-Japon et ses limites
Tribune
6 juillet 2015
Les deux pays ont souligné qu’ils allaient développer des liens orientés vers l’avenir à l’occasion de cet anniversaire. Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a assisté, le 22 juin, à un événement pour célébrer l’anniversaire de la signature du traité des Relations de base Corée du Sud-Japon organisée par l’ambassade de Corée du Sud à Tokyo, tandis que la présidente sud-coréenne Park Geun-hye assistait à une réception similaire organisée par l’ambassade du Japon à Séoul.
« Avec le recul de 50 ans d’amitié bilatérale, je tiens à joindre les mains avec la Corée du Sud pour créer une nouvelle relation bilatérale au cours des 50 prochaines années », a déclaré Shinzo Abe. « Je veux faire un effort pour réaliser cet objectif en joignant les mains avec la présidente Park.»
Park, pour sa part, a déclaré lors de la cérémonie à Séoul : « Nous devons utiliser cette opportunité comme un tournant afin que nous puissions marcher main dans la main dans l’objectif de créer un avenir où la Corée du Sud et le Japon peuvent coopérer et coexister dans la prospérité mutuelle. »
La veille de cet anniversaire, le chef de la diplomatie sud-coréenne, Yun Byung-se, en déplacement à Tokyo, s’est entretenu avec son homologue nippon, Fumio Kishida, avec l’espoir d’accélérer le dégel bilatéral, rapporte le Japan Times. Cette visite – la première depuis l’entrée en fonction de la présidente sud-coréenne en février 2013 – devait avoir lieu il y a deux ans, mais elle avait été annulée après que des membres du gouvernement japonais se furent rendus au très controversé sanctuaire de Yasukuni (y sont honorés les âmes des soldats morts, dont des responsables militaires coupables de crimes de guerre pendant la Seconde guerre mondiale), considéré par les pays voisins de l’Archipel comme le symbole du passé militariste du Japon, note le journaliste Aymeric Janier, citant Channel News Asia.
Depuis cette visite au sanctuaire controversé, les relations avaient été très tendues, les pires depuis 2012, souligne le Korean Journal of Defense Analysis. Au regard de relations très regardées, le 50e anniversaire semble donc offrir de meilleures perspectives.
Quelles sont les perspectives en matière de sécurité ?
Avec le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre la Corée du Sud et le Japon, les échanges militaires se multiplieront dans un contexte de début de dégel des liens entre les deux pays voisins, indiquait mercredi 24 juin l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.
« Il y aura une réunion de travail entre directeurs des autorités militaires cet automne alors que l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine nationale tiendront également des réunions de même niveau avec les Forces japonaises d’autodéfense », a affirmé un officiel du gouvernement de Séoul.
La réunion interministérielle sera consacrée à l’évaluation des menaces réelles de la Corée du Nord et à l’élaboration d’un programme d’échanges militaires pour l’année prochaine. La visite du ministre de la Défense japonais, Gen Nakatani, en Corée du Sud pour le deuxième semestre de cette année sera également au menu des discussions.
A l’occasion de la parade militaire navale internationale prévue en octobre prochain à Yokosuka au Japon, les deux marines engageront des manœuvres navales de patrouille et sauvetage (SAREX). La participation de navires de la marine nationale sud-coréenne à une parade militaire navale organisée par les Japonais sera une première depuis treize ans.
Exercices navals et coopération sur le renseignement
L’exercice SAREX vise à renforcer les compétences pour les accidents navals et les opérations de sauvetage en cas de catastrophe naturelle. Les exercices conjoints Corée-Japon ont débuté en 1999 et ils ont lieu sur une base biannuelle depuis 2003, le dernier exercice datant de décembre 2013.
Les échanges militaires entre chefs d’état-major et ministres de la Défense des deux pays ont été interrompus en 2012, mais les deux ministres ont rétabli le contact en mai dernier à Singapour après quatre ans et quatre mois d’interruption.
La coopération sécuritaire entre la Corée du Sud et le Japon n’est pas nouvelle, même si elle est relativement limitée. Outre des exercices navales avec la marine sud-coréenne, par exemple dans des zones contestées par Pékin en mer de Chine, mais aussi en trilatéral avec les États-Unis, les forces armées japonaises collaborent depuis peu en matière de renseignement.
Un accord de partage des renseignements et des informations sensibles a été signé le 29 décembre 2014 entre les États-Unis, le Japon et la Corée. Le pacte est limité à l’information sur les armes de destruction massive (ADM) nord-coréennes, les essais nucléaires, et les lancements de missiles à longue portée. « Le nouvel accord prévoit pour Séoul des avantages stratégiques importants dans l’amélioration de la sécurité régionale, de sorte que les calculs politiques doivent être mis de côté pour établir des interactions régulières avec les militaires de Tokyo dans le cadre d’une chaîne de force ad hoc mixte de commandement et de contrôle; ce qui constitue une reconnaissance indirecte par la Corée de la nécessité de la coopération opérationnelle et tactique avec le Japon », souligne le Center for Strategic and International Studies.
La coopération reste donc encore réduite, même si elle s’améliore.
Quels obstacles ?
Comme l’indique le communiqué du ministère des Affaires étrangères japonais à l’issue de la rencontre des ministres des relations extérieures des deux pays :
« Les deux ministres des Affaires étrangères (japonais et sud-coréen) ont confirmé que le renforcement de la coopération entre le Japon et la Corée du Sud est essentielle non seulement pour le Japon et la Corée du Sud, mais pour la paix et la stabilité de la région Asie-Pacifique, et ont partagé le point de vue qu’ils vont continuer à approfondir la coopération pratique dans une variété de domaines, y compris la sécurité et l’économie… »
Dans ce contexte, Shinzo Abe et Park Geun-hye pourraient tenir une réunion dès septembre, selon le ministre adjoint des Affaires étrangères Shinsuke Sugiyama.« Si un sommet entre le Japon, la Chine et la Corée du Sud est maintenu en début d’automne, nous pourrions organiser un sommet Japon-Corée du Sud ainsi », a déclaré M. Sugiyama dans un discours lundi 29 juin à Tokyo.
Ce serait le premier sommet Corée du Sud-Japon depuis que Park est arrivée au pouvoir en 2013. Elle a refusé de tenir un sommet avec Abe en raison de la question de la violence faite contre les femmes de la péninsule coréenne et d’autres pays – les « femmes de réconfort » – enrôlées de force dans les bordels militaires japonais pendant la Seconde guerre mondiale.
Mais mardi 30 juin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères sud-coréen Noh Kwang-il a indiqué que les discussions sur le moment de tenir un sommet bilatéral avec le Japon seraient prématurées. « Il est trop tôt pour le moment de parler d’une date à laquelle un sommet avec le Japon pourrait avoir lieu », a déclaré Noh lors d’un point de presse.
Il a réitéré la position que son gouvernement restait ouvert à la tenue d’un tel sommet, mais que les conditions devraient être créées pour faire d’une telle réunion un succès.
Les relations de Tokyo avec Séoul sont, en effet, tendues sur la question des « femmes de réconfort » mais aussi sur d’autres différends liés à la Seconde guerre mondiale, ainsi que le différend territorial portant sur l’îlot de Dokdo, en mer du Japon (mer de l’Est pour Séoul), contrôlé par la Corée du Sud mais que revendique le Japon sous le nom de Takeshima.
En raison de ces différends lourds, les opinions publiques des deux pays sont très réservées sur le réchauffement des relations. La relation bilatérale entre le Japon et la Corée du Sud bat de l’aile, selon environ 90 % des sondés des deux pays dans une enquête récente, rapporte le quotidien japonais Asahi Shimbun. Les résultats reflètent les liens de plus en plus tendues entre les deux pays au cours des dernières années. Néanmoins, la plupart des sondés expriment le désir de liens améliorés – 64 % au Japon et 87 % en Corée du Sud.
Comment lever les tensions ?
« Les deux pays doivent commencer à admettre leurs relations troublées », a déclaré au Asahi Shimbun Kan Kimura, professeur de politique comparée à l’école d’études supérieures de l’Université de Kobe. « Et ils devraient prendre des mesures spécifiques telles que la recherche conjointe axée sur la question des « femmes de réconfort » et d’autres sujets.»
Mais comme l’indique le Yomiuri Shimbun, « en ce qui concerne les femmes dites de réconfort, aucun accord spécifique n’a été trouvé, sauf celui de poursuivre les consultations entre Tokyo et Séoul. » Le grand quotidien conservateur nippon appelle à « surmonter les problèmes historiques entre les deux pays ».
La difficulté est que « selon un sondage d’opinion publique, plus de 75 % des personnes au Japon et en Corée du Sud soutiennent leurs gouvernements respectifs concernant la question des femmes de réconfort. Ce pourcentage a augmenté de plus de 10 % au Japon au cours des cinq dernières années. La situation rend la négociation plus difficile pour l’élite politique », explique le Korea Times, qui prône une « approche globale pour mettre fin aux différends historiques », notamment en expliquant clairement l’importance des liens bilatéraux à la population, « car l’opinion a la plus grande influence dans une démocratie » et de créer « un organe mi privé mi officiel pour discuter du traité de 1965 », ce qui rendrait possible « des lignes de compromis ».
Une interrogation de taille demeure, comme le remarque The Washington Post. « Abe fera (le 15 août) une déclaration très attendue sur le 70e anniversaire de la fin de l’occupation coloniale du Japon de la péninsule coréenne, qui ne devrait probablement pas satisfaire les demandes de Séoul que le Japon présente des excuses entières. Des rapports récents dans les médias japonais ont suggéré que Abe va se limiter à une déclaration personnelle, plutôt que d’un décret approuvé par le Cabinet japonais ». L’histoire demeure un enjeu politique sensible des deux côtés de la mer du Japon. L’approfondissement des relations nippo-coréennes, notamment sur le plan sécuritaire, est donc très largement tributaire de contentieux historiques très lourds qui supposent que chaque partie reconnaisse ses torts ou son intransigeance. Il va pourtant de l’intérêt des deux pays de surmonter ces différends dans une région marquée par d’importantes tensions récurrentes.