ANALYSES

La France à l’ONU aujourd’hui, une action positive ?

Tribune
29 avril 2019
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Grâce au général de Gaulle, la France bénéficie depuis 1945 d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, avec le droit de veto, comme les quatre autres puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Etats-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie). Quel bilan tirer de la place et du rôle de la France à l’ONU aujourd’hui ?

La France a un rôle positif à l’ONU : elle n’a pas exercé son droit de veto depuis plus de 25 ans, et depuis 2013, elle milite pour la suspension du droit de veto en cas d’atrocités de masse. En effet le veto a bien souvent paralysé l’ONU, ayant par exemple été utilisé à plusieurs reprises par la Russie ces dernières années pour empêcher une action des Casques bleus en Syrie. Depuis la fin de la Guerre froide, ce sont les Etats-Unis qui ont le plus utilisé le veto. Cette initiative de la France pour suspendre le veto est suivie par une centaine de pays aujourd’hui, ce qui montre que la France est écoutée et approuvée. Et le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité en 2003, s’opposant à la guerre des Etats-Unis en Irak, a eu un retentissement énorme et a marqué positivement les esprits.

De plus, la France a accueilli en 2015 la COP 21 et soutenu l’Accord de Paris sur le climat. Sous la présidence de Jacques Chirac déjà, ce dernier avait proposé la création d’une nouvelle agence de l’ONU spécialisée sur l’environnement (il existe déjà le Programme des Nations unies pour l’environnement, PNUE, créé en 1972, il s’agirait ainsi de le renforcer en le plaçant au rang d’organisation internationale). Et aujourd’hui, la France porte à l’ONU le projet d’un « Pacte mondial pour l’environnement », sur le modèle du Pacte mondial sur les réfugiés et du Pacte mondial sur les migrations, récemment adoptés.

En outre, notre pays soutient l’idée du renforcement des Casques bleus, qui mènent les opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU depuis 1948. Dans la continuité des idées exprimées par le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992 dans son Agenda pour la paix, la France promeut l’idée de forces armées des Nations unies permanentes, bien équipées, armées et entraînées, et prêtes à intervenir à tout moment sur n’importe quel terrain de conflit du monde. C’est d’ailleurs l’esprit de la Charte de l’ONU, de 1945, qui prévoit dans son article 47 un Comité d’Etat-major de l’ONU, qui existe effectivement depuis 1945 mais est en sommeil… L’actuel Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a le projet de renforcer le rôle des Casques bleus. La participation de la France aux réflexions sur le rôle des Casques bleus est importante, puisque avec l’adoption par l’ONU en 2005 de la doctrine de la « responsabilité de protéger », c’est en quelque sorte l’universalisation de la notion française de « droit d’ingérence », et cela ouvre un champ d’action plus large pour l’ONU et ses Casques bleus. Depuis leur création, les Casques bleus ont opéré 71 opérations de la paix, dont 14 en cours actuellement (7 en Afrique et 4 au Moyen Orient aujourd’hui), et ont bien souvent réussi à atténuer les violences et le nombre de morts et de blessés dans les conflits.

En 2019, l’Allemagne étant élue pour 2 ans membre non permanent du Conseil de sécurité, la France a organisé avec ce pays une présidence franco-allemande, jumelée, du Conseil de sécurité : France et Allemagne se montrent soudées et ont organisé des présidences jumelées, chose inédite jusqu’alors, au Conseil de sécurité, en mars et avril 2019. Cela cimente le « couple franco-allemand ». De plus, ces deux pays ont lancé en avril 2019 à New York une « Alliance pour le multilatéralisme », aspirant à rassembler les pays de bonne volonté pour renforcer l’ONU. Par contre, l’idée, lancée par certains dirigeants allemands, de transformer le siège français au conseil de sécurité en un siège de l’Union européenne, apparaît irréaliste et irraisonnée, comme l’a jugé l’ambassadeur français à l’ONU François Delattre. A l’Assemblée générale en revanche, l’Union européenne bénéficie du statut d’observateur depuis 2011, et constitue l’un des groupes régionaux les mieux organisés.

La France, qui en 2021 pourrait devenir, du fait du Brexit et du roulement des pays, le seul pays de l’Union européenne au Conseil de sécurité (alors qu’ils sont 5 aujourd’hui), participe aux réflexions sur la réforme de la représentativité du Conseil de sécurité : comme l’avait proposé Kofi Annan en 2005, on pourrait procéder à un élargissement, augmentant le nombre de membres de 15 à 24, en faisant une répartition géographique équitable entre les continents, soit en augmentant le nombre de membres non-permanents, soit en créant un statut de membres semi-permanents. Il s’agit de permettre aux pays du G4 (Brésil, Inde, Allemagne, Japon), voire à d’autres comme l’Afrique du Sud, de devenir membres permanents ou semi-permanents du Conseil de sécurité.

Notre pays, qui joue un rôle important dans les instances de l’ONU aujourd’hui (une Française, Audrey Azoulay, est à la tête de l’Unesco), a instauré récemment un dialogue stratégique avec la Chine, dont l’influence est grandissante à l’ONU ; devant la diminution des versements de leur  contribution financière par les Etats-Unis, la Chine devient un financeur important des Nations unies (premier contributeur budgétaire à l’Unesco actuellement).

La France milite à l’ONU pour l’adoption de résolutions et traités progressistes : par exemple, elle milite pour l’abolition universelle de la peine de mort, pour la lutte contre le financement du terrorisme, pour la fin des arrestations arbitraires et des disparitions forcées, elle a organisé un Forum à Paris sur la paix en novembre 2018, et elle est en pointe en promouvant l’adoption d’un traité onusien sur les multinationales, capable de sanctionner les entreprises qui ne respectent pas les droits de l’homme. De même que, en 2005, avec la convention sur la diversité culturelle adoptée alors par l’Unesco, c’est l’idée française de l’« exception culturelle » qui a réussi à s’imposer aux autres pays, contre la conception américaine de la culture, plus marchande.

Cependant, il y a des bémols de taille à apporter à ce bilan positif : la France n’est pas toujours exemplaire dans sa politique intérieure et extérieure, ce qui lui vaut d’être parfois condamnée ou critiquée par l’ONU. Ainsi, tout récemment, en 2019, la France a été mise en cause pour un « usage violent et excessif de la force » par Michelle Bachelet, haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, pour les violences policières lors des manifestations de « gilets jaunes » ; de plus, en 2016, l’Organisation internationale du travail (OIT) a condamné la France pour sa « loi travail » (loi El Khomry), qui viole plusieurs conventions de l’OIT car cette loi induit un « affaiblissement de la liberté syndicale et de la négociation collective » (et ce n’était pas la première fois que la France était condamnée par l’OIT pour ses dispositions et ses pratiques en matière de droit du travail) ; la patrie de Marianne a aussi été critiquée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU pour sa loi d’interdiction du voile intégral en 2018 ; en 2014, notre pays a été condamné par le Comité des droits de l’homme de l’ONU pour son non-respect de la liberté de circulation aux « gens du voyage » ; en 2012, l’Hexagone a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour le maintien d’enfants mineurs en centre de rétention ; ce traitement inhumain réservé aux enfants sans-papiers sur le sol français va également à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’ONU en 1989, et qui prévoit que tout enfant a droit à un traitement digne et à une scolarisation ; et actuellement, le soutien à peine voilé de la France au maréchal Haftar en Libye contre le gouvernement libyen reconnu par l’ONU la met en porte-à-faux par rapport à l’organisation internationale. La France, épinglée par les Nations unies pour son non-respect de certains droits humains, doit en tenir compte ; et heureusement qu’existe cette instance internationale qu’est l’ONU pour montrer la voie et rappeler à tous les pays les principes humanistes et universels de droits et de libertés.

Aujourd’hui, même si le multilatéralisme est en crise, l’action de l’ONU reste indispensable : depuis la fin de la Guerre froide, cette organisation est devenue la première puissance humanitaire de la planète, et cette organisation reste la seule enceinte internationale représentative, universelle et démocratique. Il faut donc soutenir et renforcer l’ONU, la rendre plus démocratique encore, et respecter et faire respecter ses règlements. La France doit poursuivre son engagement constructif dans l’action de l’ONU, et mieux respecter les normes onusiennes sur son sol.
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