18.11.2024
20 ans après le dernier conflit Inde-Pakistan, l’Asie du Sud (une fois encore) au bord du gouffre
Tribune
1 mars 2019
Il était décidément écrit que la sortie de l’hiver 2018-2019 serait balisée d’écueils redoutables, d’éruptions d’intensité diverse et de tensions des plus préoccupantes dans le sous-continent indien. Deux semaines après l’attentat le plus meurtrier[1] jamais perpétré au Jammu et Cachemire contre les forces de sécurité indiennes, l’Asie méridionale se trouve confrontée à un énième épisode de crise mettant aux prises New Delhi et Islamabad. Non plus seulement sur un mode rhétorique et diplomatique, mais sur un volet également militaire depuis le 27 février, les forces aériennes indiennes et pakistanaises entrant toutes deux en action dans l’espace aérien de l’ancienne principauté du Cachemire, de part et d’autre de la line of control, cette longue frontière (740 km) non-officielle séparant depuis plus de soixante-dix ans la région administrée par l’Inde (l’État du Jammu et Cachemire) de celle relevant de l’autorité d’Islamabad (Azad Kashmir). Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle (1971), l’Indian Air Force et la Pakistan Air Force ont subi l’une comme l’autre des pertes, matérielles et humaines, à l’issue de combats dans ce périmètre disputé parmi les plus sensibles du globe.
Alors que l’attention internationale se concentrait tout entière ou presque sur l’Asie du Sud-Est et Hanoi, la capitale vietnamienne, théâtre éminemment symbolique de la saison 2 du thriller Trump – Kim Jong-un, c’est finalement vers l’Asie du Sud et le binôme New Delhi – Islamabad qu’elle bifurqua devant ce qui prenait les apparences belliqueuses d’une crise interétatique majeure entre deux acteurs nucléaires ayant déjà croisé le fer et le feu à quatre reprises[2], depuis leur apparition en tant qu’États indépendants dans le concert des nations à l’été 1947.
Le quatrième et dernier chapitre bilatéral belliqueux (plus communément appelé ‘’crise de Kargil[3]’’) est vieux d’à peine deux décennies (avril-juillet 1999) et avait déjà comme arrière-plan le Cachemire. À quelques semaines près, les hostilités du moment coïncideraient avec le 20e anniversaire de cette mini-guerre qui, sur les hauteurs du Cachemire, menaça un temps d’adopter une possible tournure dramatique… Fort heureusement, il n’en fut rien et après une dizaine de semaines de combats dans la région de Kargil (et quelques centaines de victimes de part et d’autre), sous la pression de la communauté internationale (et un aller-retour express du 1er ministre pakistanais N. Sharif à Washington…), la raison finit par prévaloir et la désescalade militaire s’engagea. Les ‘éléments’ pakistanais quittant les postes militaires de haute altitude ‘empruntés’ à l’Indian army les mois d’hiver précédents pour se replier discrètement sur le sol de la République islamique du Pakistan…
En dépit de l’émotion du moment, de l’exaspération de certains acteurs (cf. opinion publique indienne) et des provocations dangereuses émanant de la partie adverse[4], on ne peut en ces dernières heures de février que souhaiter une issue s’inspirant du précédent de juillet 1999, où la désescalade militaire prit opportunément appui sur une volonté politique manifeste, des efforts diplomatiques appuyés et un investissement décisif du concert des nations pour que le bon sens l’emporte et repousse les mauvais augures d’un emballement catastrophique.
À Islamabad, après avoir fait montre d’un aplomb confondant, le 1er ministre Imran Khan semble déjà revenu à de meilleures intentions et défend l’idée d’une sortie de crise par le dialogue. Dans la capitale indienne, alors qu’un important scrutin national printanier point à l’horizon (avril-mai 2019) et tout irrité soit-il par ce énième chapitre de tension avec le voisin de l’ouest, son homologue Narendra Modi semble également partisan des mérites d’une décrue rapide des tensions et d’un apaisement par le dialogue.
Au Jammu et Cachemire indien, à quelques jours de l’arrivée du printemps, la population reste sur ses gardes et par précaution préfère évacuer temporairement les secteurs qu’elle juge les plus exposés à un éventuel emballement armé, dans ce périmètre sensible cristallisant depuis trois générations d’hommes, et quatre conflits meurtriers plus tard, le voisinage difficile, la cohabitation dans l’appréhension, des deux poids lourds (nucléaires) du sous-continent indien. On souhaite comme il se doit que cette précaution se révèle finalement excessive et, qu’à l’heure où deux autres nations asiatiques ‘techniquement’ toujours en guerre (Corée du Sud et Corée du Nord) s’emploient depuis quatorze mois à retisser le fil distendu et ténu de leurs relations, où le dictateur nord-coréen rencontre au Vietnam le chef de l’exécutif américain pour esquisser à terme des négociations de paix, la raison finisse par l’emporter. Non l’ego va-t’en guerre de quelques généraux étoilés désireux bien hardiment d’en découdre.
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[1] cf. 14 février ; région de Pulwama ; une quarantaine de victimes ; un attentat revendiqué par le groupe radical pakistanais Jaish-e-Mohammed, inscrit sur la liste onusienne, américaine et indienne des organisations terroristes. A noter à ce propos que mercredi 27 février, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont présenté une nouvelle proposition au Conseil de sécurité de l’ONU visant à désigner le chef du JeM, Masood Azhar, comme terroriste mondial ; une décision qui aurait notamment pour conséquence de placer cet individu sur la liste onusienne des entités et acteurs du terrorisme mondial, appliquerait à ce dernier une interdiction de voyager, un gel de ses avoirs et un embargo sur les acquisitions d’armes.
[2] 1947, 1965, 1971 et 1999.
[3] Du nom d’une bourgade indienne du Jammu et Cachemire, située dans un périmètre montagneux à proximité de la line of control.
[4] On pense notamment ici à la kyrielle de groupes radicaux sinon ouvertement terroristes résolument anti-indiens actifs au Pakistan ou à l’influente institution militaire.