ANALYSES

Iran : des commémorations teintées d’incertitudes

Interview
14 février 2019
Le point de vue de Thierry Coville


Les cérémonies marquant le 40e anniversaire de la révolution islamique viennent de débuter en Iran. Que reste-t-il de la révolution iranienne, 40 ans après les faits ? Où en est l’Iran aujourd’hui, tant en interne que dans sa relation avec le reste du monde ? Le point de vue de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Que représente ce 40e anniversaire pour les Iraniens et leurs dirigeants ? Que reste-t-il de la révolution iranienne ?

Ce sont plutôt les fidèles du régime iranien qui se sont rassemblés place Azadi à Téhéran ce lundi pour célébrer le 40e anniversaire de la révolution islamique, c’est-à-dire des familles dont le père ou la mère travaille dans une organisation proche du régime et du système politique, dont beaucoup de fonctionnaires. Mais la large majorité des Iraniens ne se sent pas concernée par ces commémorations, d’autant que c’est dans un climat plutôt morose, du fait de la situation économique, qu’elles se déroulent.

D’un point de vue d’historien, ces 40 ans ont été marqués par une forte volonté d’indépendance. Le gouvernement actuel n’est pas prêt à s’allier avec qui que ce soit, même avec la Russie, notamment en ce qui concerne la guerre en Syrie. Pour preuve, lorsque les Iraniens ont autorisé les Russes à utiliser un de leurs aéroports pour des opérations de bombardements en Syrie, cela a déclenché un tollé en Iran. La constitution iranienne interdit en effet à ce qu’un pays étranger utilise les équipements militaires du pays.

Ces 40 dernières années ont également été marquées par la modernisation de la société iranienne, tant en termes de transport, d’électricité, d’adduction d’eau, d’éducation, etc. Néanmoins, une antinomie se creuse au sein de la société iranienne : elle se modernise beaucoup plus rapidement que le système politique, même si les Iraniens votent, et ce toujours pour les modérés. Le système politique doit répondre à ces attentes de réformes voulues par la population, amplifiées par la situation de crise économique actuelle, pour éviter l’impasse politique.

Plusieurs mois après la réactivation des sanctions américaines sur l’Iran, comment se porte l’économie du pays ? Quid des investissements étrangers ?

La situation économique est plutôt catastrophique, avec une inflation qui officiellement est passée de moins de 10% à 35%. L’économie était en récession en 2018 et continuera de la sorte en 2019. Même s’il y avait des difficultés avant, toute cette crise économique provient essentiellement de l’impact des sanctions américaines, ce qui fait que les perceptions et prospectives sont en grande partie moroses. Et personne ne sait combien de temps cela va durer. D’un côté, les Américains appliquent leurs sanctions maximales pour obliger l’Iran à négocier à nouveau, ce que le pays refuse. Les Européens, de leur côté, préconisent au gouvernement iranien d’attendre au moins deux ans, c’est-à-dire le moment de l’élection d’un nouveau président américain. Mais ce conseil demeure très vague et incertain, d’autant que, comme pour la très large majorité des blocus et embargos, c’est la population qui en fait les frais.

Depuis le début de la réactivation des sanctions américaines, les investissements étrangers sont reportés, alors que la stratégie de Rohani d’ouverture de l’économie iranienne aux investissements étrangers semblait fonctionner, à l’image des résultats sur 2017, où une accélération des flux d’investissements étrangers a pu être observée en Iran. Aujourd’hui, toutes les grosses entreprises qui y étaient installées comme Peugeot ou Total, pour ne citer que les entreprises françaises, ont quitté l’Iran.

En outre, les États-Unis mettent la pression maximale sur le reste du monde pour stopper tout commerce avec l’Iran, créant ainsi une profonde crainte des entreprises. Cela fonctionne aussi du côté de l’embargo pétrolier puisqu’actuellement les exportations iraniennes de pétrole, selon les données de l’OPEP, sont passées de 2.3 millions de barils/jour en début 2018 à 1.3 million de barils/jour début 2019. Il y a donc une perte d’environ 45% des exportations pétrolières, sachant que le pétrole représente 80% des exportations et 40% des recettes de l’État. Cela peut continuer encore longtemps vu que les États-Unis continuent à mettre une forte pression sur tous les clients de l’Iran.

L’Iran, via le président Hassan Rohani, a déclaré que son pays continuerait à développer ses capacités militaires et notamment son programme de missiles balistiques. Comment faut-il comprendre ces déclarations ?

Il y a toujours des fondements dans la politique étrangère iranienne depuis la révolution, notamment celui de l’indépendance comme mentionnée précédemment, ainsi qu’une certaine forme d’orgueil national très profond. L’idée selon laquelle l’Iran ne doit pas se faire dicter sa politique, y compris de sécurité, par qui que ce soit est très largement répandue. Les choix sécuritaires de l’Iran sont liés à son histoire. Le choix stratégique d’avoir une politique de défense basée sur des missiles est lié à l’expérience de la guerre avec l’Irak (de 1980 à 1988). Les forces conventionnelles iraniennes n’ont pas résisté au début de la guerre à l’invasion irakienne. L’Iran s’est retrouvé isolé, tandis que l’Irak était soutenu par tous les pays occidentaux.

À l’issue de cette guerre, les autorités iraniennes ont pointé la nécessité d’obtenir une force de dissuasion pour éviter une telle situation à nouveau. C’est pour cette raison que les Iraniens ont relancé leur programme nucléaire et un programme de missiles. S’ils ont toutefois arrêté de vouloir obtenir une arme atomique depuis l’accord de juillet 2015, ils vont bien garder leur programme de missiles stratégiques. Par ailleurs, du fait de leur fierté nationale, plus on leur met la pression, plus ils résistent : l’Iran n’a donc aucune intention de céder sur ses capacités militaires. D’autant que les Iraniens, et ce n’est pas qu’une perception, ont le sentiment qu’ils font face à un front uni composé de l’Arabie saoudite, d’Israël et des États-Unis, qui veut un changement de régime. Dans ces conditions, il est tout à fait logique de s’attendre à ce qu’ils se raidissent et continuent à vouloir développer leur programme balistique.
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