12.11.2024
« Les armes nucléaires constituent un danger permanent et bien réel pour la communauté internationale »
Interview
16 novembre 2018
Jean-Marie Collin est le porte-parole de ICAN France, relais national de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, prix Nobel de la paix 2017. Il est intervenu lors du premier Forum de Paris sur la Paix qui s’est déroulé du 11 au 13 novembre (Halle de la Villette) pour présenter son projet : « Le Traité d’interdiction sur les armes nucléaires : un instrument au service de la paix ! ».
Une différence de vision politique nette est apparue entre le Japon et les États-Unis lors de consultations bilatérales avant qu’un groupe spécial de l’ONU adopte une résolution japonaise ce mois-ci appelant à l’élimination totale des armes nucléaires, selon des sources diplomatiques. Les États-Unis s’étaient opposés à l’inclusion de certaines phrases faisant référence à l’article 6 du traité de non-prolifération nucléaire et aux accords conclus lors des conférences d’examen du TNP en 1995, 2000 et 2010 dans la résolution de l’ONU parrainée par le Japon. L’article, qui n’avait pas été mentionné dans une résolution similaire adoptée l’année précédente par le Royaume-Uni, appelle les États dotés de l’arme nucléaire à poursuivre le désarmement nucléaire. La résolution intitulée « Action unie avec une détermination renouvelée en faveur de l’élimination totale des armes nucléaires » a ainsi été adoptée par la Première Commission sur les questions de désarmement lors de l’Assemblée générale des Nations unies le 1er novembre.
Que pensez-vous de la position du Japon ? Est-elle unique parmi les grandes puissances de la planète ?
Cet exemple illustre malheureusement la politique actuelle des États-Unis qui est très éloignée de celle pratiquée auparavant par le président Obama en termes de politique de contrôle et de non-prolifération nucléaire. Cela montre également à quel point la pression des États-Unis est grande sur un État comme le Japon qui veut à la fois conserver son lien privilégié avec les États-Unis, mais tente aussi de montrer sa bonne foi sur l’importance du désarmement nucléaire… Cette pression est classique de la part des puissances nucléaires, elle est ainsi exercée sur de nombreux États et par toutes les puissances nucléaires, à l’image de la France qui ne cesse d’envoyer des pressions politiques fortes vers des États francophones afin qu’ils ne deviennent pas membres du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN).
Les armes nucléaires sont-elles un danger pour la planète ?
Cette question est étonnante, car je ne pense pas que celle-ci se poserait au sujet des armes biologiques et chimiques. Oui, les armes nucléaires constituent un danger permanent et bien réel pour la communauté internationale. Si ce n’était pas le cas, aucune règle internationale (comme le Traité de non-prolifération nucléaire ou le nouveau Traité d’interdiction des armes nucléaires) n’aurait été adoptée par l’ONU. La prolifération nucléaire, par ailleurs, ne constituerait pas une menace. Il est essentiel d’avoir toujours en tête que les armes nucléaires sont des armes de destruction massive dont les conséquences de leur utilisation (volontaire ou accidentelle) peuvent remettre en cause la survie de l’humanité. Ces armes sont donc une menace pour les populations et notre environnement. De plus, elles sont absolument incompatibles avec le droit international humanitaire comme l’a exprimé à plusieurs reprises le Comité international de la Croix-Rouge. En effet, à l’occasion des trois conférences internationales sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, le CICR a souligné qu’aucun plan international ni aucun acteur ne sera à même de répondre de manière adéquate aux besoins des victimes en cas d’emploi d’armes nucléaires. De plus, les effets des armes nucléaires ne connaissent pas de frontières, ni dans le temps ni dans l’espace, car leur impact génétique se transmet aux générations suivantes.
N’assurent-elles pas un équilibre ?
Si vous pensez à l’équilibre de la terreur, alors oui. Mais le problème de l’équilibre c’est que le risque de tomber est toujours grand. D’autre part cet « équilibre » n’est pas souhaité par une écrasante majorité du monde, car leur sécurité est directement mise en cause. À l’heure où le mot multilatéralisme est largement utilisé, il serait donc temps de prendre en compte les besoins de sécurité de toutes les populations et pas seulement de quelques États. Cette notion d’équilibre est donc absurde, dangereuse et illusoire comme nous l’expliquons dans « L’illusion nucléaire : la face cachée de la bombe atomique ». Le discours sur la nécessité de la bombe et de son maintien repose sur des mythes. Or, en 2018, nous constatons de plus en plus que les failles de cette ligne Maginot nucléaire sont de plus en plus béantes.
En continuant à mettre en avant cette politique de dissuasion (et l’on peut se référer aux derniers discours de la ministre des Armées), c’est un appel à la prolifération nucléaire. De plus, il faut être aveugle pour ne pas voir que cette politique ne peut mener à terme qu’à l’usage de ces armes. Le développement accéléré des nouvelles technologies (notamment le cyber) rend encore plus incertains et fragiles les systèmes de sécurité de ces armes. L’invisibilité prochaine des sous-marins est également remise en question comme l’a souligné le député M. François Cornut-Gentille (qui n’est pas un opposant à l’arme nucléaire) avec l’arrivée de satellites capables de les repérer…
Quelles sont les chances d’une élimination complète des armes nucléaires et à quelle échéance ?
Depuis la fin de la guerre froide, l’arsenal nucléaire mondial est passé de près de 70 000 à moins de 15 000 armes, preuve que la diminution et le démantèlement sont bien des réalités et peuvent être réalisés en quelques années. Le processus d’élimination inclut de nombreuses étapes qui vont du retrait des armes en état d’alerte, au stockage puis au démantèlement. En 2017, à l’ONU, le Traité d’interdiction des armes nucléaires a été adopté par 122 États. Le TIAN entrera en vigueur en fin d’année 2019. La volonté politique de ces États est de ne plus se retrouver confrontés à une menace nucléaire. Ce traité était la pièce manquante du puzzle pour disposer d’une interdiction globale et engager des négociations sur l’élimination des armes nucléaires.
Le Président sur le porte-avions Charles-de-Gaulle a souhaité rassurer les Français sur l’équipement des forces armées.
Le président Macron lors de son interview a souligné que la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) était en forte hausse pour rééquiper les forces armées françaises. Nul ne peut nier cette augmentation, mais celle-ci va structurellement en direction des forces nucléaires et non pas vers les forces conventionnelles. Pas moins de 37 milliards d’euros seront ainsi consacrés dans la LPM 2019/2025, soit une augmentation de 60 % par rapport à la LPM précédente (qui était de 23,3 Mds €). Ce budget doit assurer la modernisation des arsenaux existants et lancer le processus de renouvellement de l’ensemble des systèmes des deux composantes nucléaires (sous-marine et aérienne, équipements liés aux transmissions, systèmes de simulation). La France participe bien ainsi à un processus de course aux armements nucléaires (non pas en termes de quantité, mais en termes de qualité) qui devrait se poursuivre jusque vers 2048, date de la fin annoncée de ce renouvellement. Les futurs crédits iront donc toujours plus en direction de l’arsenal nucléaire au détriment des forces conventionnelles…