17.12.2024
Élections au Venezuela : entre pénurie démocratique et ingérences étrangères
Interview
24 mai 2018
Nicolas Maduro a été réélu président du Venezuela avec près de 67,7 % des voix, élection sujette à de nombreuses contestations au sein du pays comme à l’international. La crise politique et économique se perpétue au Venezuela dans un contexte géopolitique défavorable à Caracas. Face à une abstention record, une non-reconnaissance de l’issue du scrutin par l’opposition, et la menace de sanctions de la part des États-Unis, le Venezuela s’enlise-t-il dans une crise encore plus profonde ? Pour analyser la situation, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS, qui revient d’une mission d’observation des élections au Venezuela.
Nicolas Maduro a été réélu à la tête du Venezuela avec près de 67,7 % des voix. Malgré une forte abstention et une dénonciation d’irrégularités de la part de l’opposition, quelles leçons peut-on tirer de ce scrutin présidentiel ?
La société vénézuélienne est fatiguée politiquement parlant. Ce sentiment s’est ressenti à travers une abstention record atteignant les 54% de non-participation. Cette abstention n’est pas uniquement due à l’appel lancé par un certain nombre de partis d’opposition. De nombreux électeurs, qui en 2013 avaient voté pour le président Maduro, ne l’ont pas fait cette fois-ci, non pas par opposition, mais parce qu’ils sont pris dans les difficultés de la vie quotidienne : il n’y a presque plus d’argent liquide en circulation, conséquence de l’hyperinflation. Une partie des Vénézuéliens est donc dans l’obligation de se livrer à plusieurs activités afin de pouvoir vivre. Cette vie quotidienne empreinte de difficultés repousse les questions politiques au second plan. Elle permet de comprendre l’accroissement de l’abstention dans les quartiers populaires. Pour une autre partie de la société vénézuélienne, représentative des classes aisées et moyennes, favorables aux partis d’opposition, plusieurs centaines de milliers de personnes ayant quitté le Venezuela et ses difficultés figurent dès lors comme abstentionnistes sur les listes électorales.
C’est effectivement une victoire pour Nicolas Maduro, mais une victoire à la Pyrrhus. Pour autant, ce n’est pas une victoire pour l’opposition, qui est largement divisée. Le véritable vainqueur des élections est le parti des abstentionnistes. Ce qui fragilise tout à la fois l’assise de Maduro, mais également l’opposition qui apparaît incapable d’offrir une réelle alternative au pays.
Depuis 2014, le Venezuela connaît une crise politique et économique, marquée par une inflation des prix et une forte violence. Quels sont les défis qui attendent Nicolas Maduro ?
Le défi immédiat est la réaction des pays voisins, des États-Unis et de l’Union européenne. Un certain nombre de pays d’Amérique latine ont décidé de durcir leur position à l’égard du Venezuela. Ils ont rappelé leurs ambassadeurs. Dans leur majorité, ce sont des pays à orientations conservatrices, dirigés par des partis ou mouvements de droite. Le gouvernement nord-américain, dans la foulée des sanctions contre l’Iran, pourrait également annoncer une série de mesures visant à isoler économiquement et financièrement le Venezuela. Ce défi pourrait ajouter des difficultés à un pays qui fait face à une carence de liquidités sur son territoire, génératrice de désordres économiques et d’un mal vivre croissant. La ville de Caracas est quasiment dans le « black-out » faute d’énergie. Ce qui a perturbé la campagne électorale : à partir de 18h, la vie sociale et politique est suspendue faute d’éclairage public suffisant. Dès lors, un contexte d’insécurité domine dans la capitale, considérée déjà comme une des villes les plus dangereuses du continent.
Les défis du président Maduro concernent ainsi l’économie et la sécurité. L’inquiétude des autorités est de savoir si les États-Unis, vont aggraver la situation économique et politique du pays, en prenant de nouvelles sanctions, au risque de créer une situation de chaos. Mais cela n’est-il pas leur objectif inavoué ? Cela ne prépare-t-il pas une éventuelle opération de déstabilisation extérieure, visant à rétablir l’ordre des affaires et celui de la démocratie ? Ces menaces vont probablement amener le gouvernement de Maduro à renforcer ses relations avec la Chine, déjà fortement présente économiquement et diplomatiquement.
Ces élections se sont déroulées en pleine crise politique. Les 14 pays du Groupe de Lima ont annoncé le rappel de leurs ambassadeurs et les États-Unis ont déclaré qu’ils ne reconnaitront pas le résultat de la présidentielle. Comment analysez-vous cette situation ? Quelle posture faut-il attendre du Venezuela sur la scène régionale ?
C’est une situation assez paradoxale. La démocratie au Venezuela ne répond pas aux critères auxquels les Occidentaux sont habitués ; le vote est respecté. Mais l’appareil d’État favorise le candidat officiel. La critique est donc justifiée. Mais pourquoi cibler le seul Venezuela ? Certaines situations, en Amérique latine, en Asie, en Europe, sont tout aussi critiquables : le pluripartisme est interdit en Chine et à Cuba, le gouvernement hongrois n’est pas démocratiquement exemplaire, et la Turquie, encore moins. En Amérique latine, le président brésilien, est issu d’un coup d’État parlementaire, les élections au Honduras ont été inconstitutionnelles, le Pérou a un président qui s’est fait remercier pour corruption, etc. Dans ce panorama de la crise de la démocratie, le Venezuela fait figure de bouc-émissaire collectif et exclusif.
Cette situation répond davantage à des critères liés à la géopolitique, à des logiques diplomatiques que réellement éthiques. Le Venezuela est dans une situation diplomatique de plus en plus complexe, dans la mesure où la plupart de ses voisins, le Brésil, la Colombie, le Pérou, le Chili ou l’Argentine affichent une attitude agressive, calée sur la position des États-Unis.
Ce contexte amène Caracas à s’appuyer davantage sur ses alliés actuels qui vont renforcer leur capacité d’influence, soit la Russie, et plus fortement la Chine. Pékin a récemment signalé dans un communiqué qu’elle attachait la plus grande importance à ce que le résultat des élections au Venezuela soit reconnu au niveau international, preuve de sa forte relation avec Caracas, mais aussi de l’élargissement de sa sphère d’intérêts.