ANALYSES

Mohammed Ben Salman à la recherche de reconnaissance internationale

Interview
11 avril 2018
Le point de vue de Didier Billion


Après avoir passé trois semaines aux États-Unis, trois jours en Égypte et deux jours au Royaume-Uni, Mohammed Ben Salman s’est rendu à Paris, dernière étape de sa tournée internationale. La rencontre entre le jeune prince héritier et Emmanuel Macron avait pour objectif de nouer une relation plus forte entre les deux pays, notamment dans le domaine militaire et économique. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, sur les enjeux de cette tournée.

Quels sont les enjeux de la tournée internationale de Mohammed Ben Salman ? Est-ce inédit dans l’histoire diplomatique saoudienne ? Est-ce un signe d’ouverture de son pays envers l’Occident ?

Cette tournée, de plus de 4 semaines, s’inscrivait dans la nécessité de se faire connaître auprès des chefs d’État occidentaux. Mohammed Ben Salman (MBS) a en effet été propulsé prince héritier au mois de juin dernier. Alors qu’il avait déjà acquis de nombreuses responsabilités depuis l’accession de son père au trône, cela s’est fait en bousculant les habitudes successorales du royaume saoudien. MBS n’a que peu d’expérience, et il n’a pas encore effectué beaucoup de déplacements à l’étranger, d’où cette tournée en Occident pour renforcer les liens. D’autant que l’état de santé fragile de son père pourrait le contraindre à accéder rapidement au trône.

Cette tournée n’est cependant pas inédite dans l’histoire diplomatique saoudienne, bien qu’elle se singularise par sa durée, plus habituelle il y a 30 ou 40 ans. Elle donne également une indication sur la situation politique de l’Arabie saoudite. Si le nouvel homme fort du royaume a de nombreux opposants, y compris parmi les princes héritiers, une tournée d’une durée de 4 semaines indique que son pouvoir semble assez conforté au plan national.

Le royaume a établi des relations étroites de longue date avec les puissances occidentales. Durant la Guerre froide, l’Arabie saoudite fut ainsi le pays le plus instrumentalisé au sein des mondes arabes par les États-Unis, dans la lutte contre le « péril communiste » et les forces nationalistes arabes. Il y a toujours eu ce paradoxe, apparent, au sein du royaume saoudien, c’est-à-dire une véritable proximité avec les puissances occidentales, en particulier avec les États-Unis, et en interne, un régime archaïque et réactionnaire où le poids du religieux est extrêmement important.

Il est cependant difficile de dire si cette tournée est réellement un signe d’ouverture. D’un point de vue interne, des changements s’opèrent au niveau du royaume, timides, mais à souligner. Mohammed Ben Salman souhaite incarner une forme de modernité qui s’illustre, par exemple, par l’accession des femmes à la possibilité de conduire, ou par la réduction des pouvoirs de la police des mœurs – la Muttawa – qui ne possède désormais plus de droits de poursuite et d’interpellation. Sur le plan économique, si le prince héritier sait que la rente pétrolière est un élément qui a permis au royaume de se fortifier, il a conscience de l’instabilité des cours du pétrole et ainsi de la nécessité de diversifier l’appareil économique saoudien. C’est le sens de son projet « Vision 2030 ». Mais, au final, MBS a surtout cherché par cette tournée à conforter les soutiens et alliances, spécialement avec les États-Unis, dans le bras de fer qui oppose son pays à l’Iran.

Le prince héritier a entamé sa dernière visite en France. L’Élysée a indiqué que celle-ci aurait pour but de nouer un « nouveau partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et la France ». Quelle est la nature des relations entre les deux pays ? Quel bilan peut-on faire de cette visite ?

Sous le quinquennat de François Hollande, à l’inverse de celui de Nicolas Sarkozy au cours duquel les liens avec le Qatar étaient plus affirmés, il y eut une véritable politique pro-saoudienne. Cela s’est illustré par une convergence sur de nombreux dossiers internationaux et régionaux, notamment à propos de la Syrie. Signe de ce rapprochement, l’ancien président fut invité, en 2015, à une réunion au sommet d’un Conseil de coopération du Golfe, une première pour un chef d’État occidental. De nombreux dossiers et promesses de contrats furent par ailleurs établis entre la France et l’Arabie saoudite, pour un montant qui tournait autour de 50 milliards de dollars. Cela étant, la plus grande partie de ces engagements ne s’est pas concrétisée, et a entraîné une certaine amertume et des déceptions dans les cercles français en lien avec le royaume.

Au niveau économique, la place de la France est relativement faible en Arabie saoudite, autour des 3% des parts de marché, loin derrière la Chine, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon. Toutefois, le point fort côté français est le marché de l’armement qui s’élevait à 7 milliards de dollars en termes de pré-engagement, même si cette tendance est à la baisse ces quatre dernières années. Cela peut s’expliquer par les difficultés budgétaires du royaume induites par la diminution de la rente pétrolière, mais également par les choix saoudiens de ne pas concrétiser avec la France.

Si Paris n’aspire pas à être dans le peloton de tête des partenaires économiques de l’Arabie saoudite, des marchés de niche peuvent être intéressants pour la France, dont son industrie reconnue et performante peut intéresser le royaume : le défi énergétique, le défi de l’approvisionnement en eau, l’industrie du tourisme, sans oublier le domaine de l’armement.

A noter cependant, sur ce dernier point, que certains armements livrés par la France à l’Arabie saoudite ont été utilisés dans le conflit au Yémen, notamment dans les bombardements indiscriminés contre les populations civiles. De nombreuses ONG internationales critiquent l’implication de l’Arabie saoudite dans ce conflit depuis 2015, et demandent à Riyad de cesser les bombardements sur les civils et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire. Cela pourrait constituer une forme de restriction, car les marchands d’armes, notamment français, ne sont pas nécessairement insensibles aux campagnes internationales menées par les ONG.

Un des potentiels points de crispation réside dans la guerre que l’Arabie saoudite mène au Yémen. Quels sont les positionnements des différents pays visités sur cette question ? La position du royaume saoudien peut-elle évoluer vis-à-vis de cette guerre menée pour contrer avant tout l’influence iranienne sur la région ?

Le principal point de destination de cette tournée internationale était les États-Unis. Sur la question yéménite, Washington n’a pas émis de critique sur la position saoudienne. Cela ne signifie pas que les dirigeants américains se réjouissent des bombardements, mais pour l’administration Trump, l’essentiel repose sur la lutte contre l’Iran. Le réel objectif est de donner un coup d’arrêt à ce que les Américains nomment « l’expansionnisme » iranien, et cela se traduit par un soutien inconditionnel à la politique saoudienne. Au mois de mai, l’année dernière, ce lien bilatéral s’est illustré lors de la tournée du président américain au Moyen-Orient, dont l’étape la plus longue fut en Arabie saoudite. Elle s’était concrétisée par des promesses de contrats de près de 400 milliards de dollars.

Quant au Royaume-Uni et à la France, ils ont émis très peu de critiques à l’égard de la politique saoudienne au Yémen.

La position de l’Arabie saoudite sur ce dossier pourrait pourtant évoluer si ladite communauté internationale prenait le dossier en main. Même l’ONU, à l’instar des puissances occidentales, n’a émis que très peu d’avis sur la situation au Yémen. Une partie de ladite communauté internationale est en effet préoccupée par l’Iran et ne souhaite pas affaiblir Riyad. Dès lors, le dossier yéménite est pollué par cette rivalité.

Les Saoudiens accusent les Iraniens d’être à la manœuvre au Yémen en soutenant les forces houthies. Malgré l’existence d’un intérêt politique de l’Iran pouvant contribuer à affaiblir son rival saoudien, penser qu’il y aurait une politique préétablie et organisée de l’Iran sur le dossier yéménite et les houthistes est peu probable. En effet, très peu de preuves tangibles ont été amenées concernant l’implication directe des Iraniens dans ce pays.

En l’absence de pression des États-Unis, voire de la France et du Royaume-Uni, seuls des débats au niveau des instances internationales permettraient une inflexion de la politique saoudienne au Yémen et stopper cette agression caractérisée contre un pays dont les habitants paient le prix fort.
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