18.11.2024
« De passager clandestin de la mondialisation, la Chine s’affirme aujourd’hui comme son pilote »
Interview
28 mars 2018
Le mois de mars a été une période décisive pour le président chinois, illustrant les principaux objectifs de son nouveau mandat. La récente rencontre à Pékin, entre Xi Jinping et Kim Jong-un, est considérée comme une victoire côté chinois, qui semblait ces derniers temps écarté des négociations avec la Corée du Nord. Alors que, l’annonce d’une “guerre commerciale” entre la Chine et les États-Unis, par le président Trump, profite finalement à Pékin. L’analyse de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
La visite historique du président Kim Jong-un à Pékin marquerait-elle une nouvelle étape dans les relations sino/nord-coréenne ? Comment l’interpréter ?
C’est un évènement important, puisque c’est la première fois que Kim Jong-un est reçu en Chine, là où son père et son grand-père s’étaient rendus en visite officielle une dizaine de fois chacun. Depuis son arrivée au pouvoir, le dirigeant nord-coréen souhaitait cette visite que lui refusait Pékin, et c’est donc une victoire diplomatique pour lui, qui vient s’ajouter à la reprise des pourparlers avec la Corée du Sud et l’annonce de la rencontre avec Donald Trump. C’est évidemment un évènement qui doit être associé à cette rencontre prévue avec le président américain, qui traduit la volonté de la Chine de ne pas être écartée des négociations qui peuvent en résulter. Ce n’est donc pas nécessairement une nouvelle étape dans la relation Pékin-Pyongyang, mais la démonstration que la Chine n’entend pas être court-circuitée, et souhaite maintenir une position centrale dans toutes les négociations qui s’annoncent.
La récente révision constitutionnelle marquant la fin de la limite des deux mandats présidentiels, et permettant à Xi Jinping d’être « président à vie » a-t-elle selon vous affectée l’image de la Chine à l’international ? Que doit-on attendre du positionnement de la Chine sur les questions étrangères à l’avenir ? Comment définiriez-vous sa diplomatie ?
Il convient d’abord de rappeler que cette réforme constitutionnelle permet à Xi Jinping de faire un troisième mandat, voire plus, mais il ne s’agit pas d’une transformation du mode de désignation du président chinois. Parler de présidence à vie est donc exagéré, ou alors ce terme devrait s’appliquer dans tous les processus électoraux, démocratique ou non, qui ne sont pas marqués par des limites de mandats. Il est plus probable que Xi Jinping effectue un troisième mandat, et nous verrons ensuite. C’est cependant une décision qui affecte l’image de la Chine dans le monde, et en particulier dans les démocraties occidentales, ce qui nous invite à considérer que la Chine fait le pari, qui peut être risqué, de la stabilité au détriment de l’image. Pari risqué compte-tenu de la volonté de Pékin de jouer un rôle accru dans les affaires internationales, et stabilité mise en avant pour mettre en œuvre une diplomatie cohérente et efficace. L’avenir nous dira si le pari est gagné. En attendant, cette réforme indique, au-delà de cette symbolique trop commentée autour de la limite des mandats désormais levée, une volonté de replacer la politique, et même l’idéologie, au centre de la politique chinoise. Souvenons-nous du discours de Xi Jinping à l’occasion du 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC), et les multiples références au parti, qu’il entend consolider. Ce discours est lourd de sens sur les questions intérieures, mais aussi sur les questions internationales, à l’heure où la confrontation des modèles de gouvernance semble s’imposer.
De quelle manière l’annonce d’une “guerre commerciale” entre la Chine et les États-Unis, par le président Trump, est-elle perçue à Pékin ? La récente nomination de Liu He en tant que vice-Premier ministre, chargé de piloter la politique économique et ancien étudiant à Harvard, va-t-elle renforcer l’administration chinoise ?
D’abord, notons que la Chine n’a pas lieu de se réjouir de ces annonces faites par Donald Trump. La situation actuelle profite très fortement à Pékin, comme l’illustre l’abyssal déficit commercial américain à l’égard de la Chine, et toute modification de ce paradigme est un défi. Ce n’est cependant pas la première fois qu’un président américain fait des annonces très dures à l’égard de la relation commerciale avec la Chine, qui plus est en période pré-électorale. Mais cette fois, les Chinois considèrent que Trump pourrait mettre ses menaces à exécution. D’où la nécessité d’y répondre fermement, en annonçant des mesures de rétorsion si Washington s’engage dans une guerre commerciale, tout en défendant le principe de la négociation, et se positionnant ainsi en victime plus qu’en adversaire de la politique commerciale de Donald Trump.
De passager clandestin de la mondialisation, la Chine s’affirme ainsi aujourd’hui comme son pilote, et occupent la place laissée vacante par Washington. Un personnage comme Liu He pourrait de fait mener les négociations, qui s’annoncent tendues, avec une administration Trump qui affine sa politique étrangère, et sa politique chinoise en particulier.