ANALYSES

Élections présidentielles en Russie : un «manège» millimétré à la veille d’un quatrième mandat assuré

Interview
8 mars 2018
Le point de vue de Jean de Gliniasty


À quelques jours du premier tour des élections présidentielles en Russie, l’actuel président Vladimir Poutine a prononcé le 1er mars dernier un discours-fleuve devant un parterre d’environ 1500 invités. Le premier volet de son allocution était centré sur la question économique et sociale avec la nécessité de faire face à la baisse du niveau de vie enregistrée ces derniers mois. La seconde partie, axée sur le complexe militaro-industriel à usage de vitrine technologique, était destinée autant à son électorat qu’à l’international, avec en première ligne de mire Washington. Seuls le taux d’abstention et, dans une moindre mesure, l’enrayement diplomatique en Syrie pourraient ternir l’ampleur d’une victoire électorale largement assurée. Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et ancien ambassadeur de France en Russie.

Que doit-on retenir de l’allocution de Vladimir Poutine prononcée ce 1er mars ? S’inscrit-il dans la continuité, ou entend-il marquer un nouvel élan pour le pays ?

Il s’agit d’un discours programmatique qui a duré près de trois heures. Vladimir Poutine a prononcé son allocution devant l’équivalent du Congrès, c’est-à-dire devant les sénateurs et les députés de la Douma, afin de lui donner une répercussion plus grande. Deux axes sont à retenir : un aspect économique et social et un aspect militaire.

Sur le plan économique et social, il a vendu à son électorat de grandes avancées. Certains avancent que c’est Alexeï Koudrine, ancien ministre des Finances, d’obédience libérale, qui aurait pris part à l’écriture du premier volet de ce discours. Cette initiative est cependant à relativiser, car les thématiques du numérique et des infrastructures auraient pu être écrites par l’école néokeynésienne opposée à Koudrine. Boris Titov, dirigeant du Parti de la Croissance et candidat à la présidentielle, préconise par exemple une injection monétaire dans l’économie, tout en mettant un accent moindre sur les réformes structurelles. Cette première partie laisse entendre que beaucoup de choses vont changer. Vladimir Poutine a donné pour le pays des objectifs de croissance, des objectifs pour la politique de santé et pour la politique sociale, visant à une augmentation du pouvoir d’achat. Si le discours en lui-même est traditionnel, sur les moyens d’y parvenir, le futur président se donne une totale liberté d’action.

La seconde partie du discours a porté sur les questions militaires. L’ensemble des annonces faites sur ces problématiques étaient connues des observateurs et de la presse. C’est le cas du projet de missile hypersonique indétectable, d’une torpille sous-marine, ou encore d’une arme laser. Néanmoins, il serait hasardeux d’en tirer des conclusions trop hâtives. Sur la forme, toutes ces annonces ont été regroupées afin d’offrir aux citoyens russes une vitrine techno-militaire sur les performances de la Russie. L’objectif affiché était de confirmer un retour définitif de la Russie au plus haut niveau en matière d’armement. C’est aussi une réponse aux Américains dans le cadre de la lutte éternelle entre le bouclier et le glaive.

Washington a en effet énormément investi d’argent ces dernières années dans la défense antimissile, et les Russes ont trouvé plus économique d’investir dans la capacité de pénétrer les défenses américaines. Ainsi, sans avoir à dépenser des dizaines de milliards de roubles, ils ont tout de même les moyens de mettre en porte-à-faux les défenses américaines. Cette course à l’armement a pour origine la dénonciation en 2002 par Washington de l’accord SALT 1 de non-prolifération, signé à Helsinki en 1972 dont les Russes craignent qu’elle n’aboutisse à neutraliser leur dissuasion. Pour Vladimir Poutine, le chemin pris par la Russie en matière d’armement stratégique en est la conséquence directe.

Comment se profilent les élections du 18 mars prochain ?

L’actuel président russe va gagner ces élections dès le premier tour. Le seul enjeu de cette échéance électorale est la participation. Or, pour l’instant, les données ne sont pas suffisamment consistantes. Des sondages du Centre russe d’étude de l’opinion publique (VTsIOM) sont assez favorables à Vladimir Poutine. Quant à Levada, institut indépendant, il s’est interdit de publier des résultats avant le premier tour de l’élection, car il a été classé par le gouvernement comme « agent de l’étranger ». Concernant l’abstention, celle-ci est passée de 40% à 52% lors des législatives de 2016. Il n’est donc pas impossible que des gouverneurs fassent du zèle durant le scrutin, et qu’on assiste même à du bourrage d’urnes.

Un élément nouveau est tout de même apparu durant cette campagne. Pavel Groudinine, candidat du parti communiste russe (KPRF), grande force politique à la gauche de Vladimir Poutine, vient de faire l’objet d’une enquête. On a découvert qu’il avait plusieurs comptes en Suisse bien garnis avec des lingots d’or. Cela a fortement écorné l’image du parti, alors qu’il arrive systématiquement derrière le parti au pouvoir Russie unie à chaque élection. Vladimir Poutine aura donc un boulevard devant lui.

Le président russe candidat à sa réélection entend également se donner une marge de manœuvre complète pour les nominations gouvernementales. Il semble que Sergeï Lavrov, actuel ministre des Affaires étrangères, soit sur le départ après une longue carrière de diplomate. Et l’incertitude est totale quant au nom du futur Premier ministre ou encore sur ce qu’il adviendra de Dmitri Medvedev, ou encore d’Alexeï Koudrine.

Les Russes ne sont-ils pas dans une situation d’enlisement en Syrie ? Y a-t-il eu des répercussions suite à l’annonce de la mort de mercenaires russes au combat ? Cela peut-il avoir un impact sur la campagne, voir la politique étrangère russe ?

L’affaire syrienne avait suscité au départ une forte réticence dans l’opinion russe a contrario de l’Ukraine qui était largement perçue comme une cause patriotique. Des sondages avaient été réalisés lors des premières opérations militaires en Syrie, et une majorité n’était pas favorable à ce que de jeunes soldats se fassent tuer sur un théâtre lointain et méconnu. Le gouvernement avait dû faire campagne pour convaincre l’opinion que la lutte contre le terrorisme djihadiste en Russie se jouait également à Damas. Vladimir Poutine a néanmoins été très satisfait d’annoncer, il y a un peu plus d’un mois, que la guerre avait été gagnée et que, dès lors, le rapatriement des troupes pouvait être effectif. Mais force est de constater que ce succès militaire ne s’est pas accompagné d’une victoire diplomatique, et qu’une « paix » n’est toujours pas à l’ordre du jour.

La Conférence de Sotchi, qui en principe aurait dû créer un cadre au processus de paix, ainsi que la Conférence de Genève ont enregistré des résultats quasi nuls. Les Russes sentent bien que les négociations seront longues et ardues, et que la paix n’est pas pour demain. Il y a probablement une sourde inquiétude dans l’opinion, mais un récent sondage de VTsIOM, proche du pouvoir, montre que finalement, l’engagement russe en Syrie serait approuvé par une majeure partie de la population. Il n’y a donc pour l’instant pas de risque à ce que les difficultés diplomatiques du gouvernement pèsent sur l’opinion.

En ce qui concerne les mercenaires du groupe de sécurité privé Wagner qui ont été tués au moment de la montée d’une colonne syrienne vers les installations pétrolières de Konoko à proximité de Deir ez-Zor, la volonté russe de tuer la polémique a été manifeste. Certaines sources parlent de quelques morts, alors que d’autres en évoquent des centaines. Compte tenu des règles de déconfliction entre Américains et Russes sur le terrain, il n’est pas certain, mais probable que Washington ait prévenu Moscou d’une attaque imminente, sachant que la zone est sous couverture aérienne russe. Le gouvernement russe a immédiatement réagi en déclarant que les pertes militaires russes n’étaient en aucun cas liées au gouvernement, et qu’il s’agissait de l’action de Wagner, une entreprise privée de sécurité embauchant des volontaires. Il n’est cependant pas exclu que cette entreprise soit en partie liée à des intérêts syriens à Damas, notamment pour récupérer les installations pétrolières de Konoco.

Ce qui ressort, finalement, de cette affaire est que Moscou n’a pas tenu à en faire un événement politique en la considérant comme une péripétie de guerre, mais ne remettant en cause ni le prestige ni l’autorité de Moscou.
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