ANALYSES

La Chine relance-t-elle la course aux armements ?

Tribune
6 mars 2018


La Chine va redonner un coup d’accélérateur à ses dépenses militaires en 2018, vient-elle de réaffirmer au début d’une grand-messe du régime communiste qui permettra au président Xi Jinping de rester au pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaitera. Le budget militaire augmentera de 8,1% cette année, à 1.107 milliards de yuans (175 milliards de dollars), a annoncé le Premier ministre Li Keqiang dans un discours devant les députés. C’est une hausse par rapport au taux de l’an passé (+7 %). La Chine a dépensé en 2017 un total de 151 milliards de dollars pour son armée, selon un rapport des experts de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), basé à Londres. C’est quatre fois moins que les États-Unis (603 milliards). Mais nettement plus que l’Arabie saoudite (77), la Russie (61), l’Inde (53), le Royaume-Uni (51), ou encore la France (49).

La Chine est engagée depuis 30 ans dans un processus de modernisation pour combler son retard sur les armées occidentales. Elle mise sur la technologie (avoir des armes et équipements de pointe), la professionnalisation (elle a réduit ses effectifs de 2,3 millions, à 2 millions depuis 2015) et l’organisation (meilleure coordination entre armée de terre, de l’air et marine). En Asie, la Chine est intransigeante vis-à-vis des territoires qu’elle considère comme relevant de sa souveraineté historique : l’île de Taïwan (Pékin en a perdu le contrôle en 1949 au profit d’un régime rival), les îles Senkaku-Diaoyu (disputées avec le Japon), des territoires frontaliers (avec l’Inde) et des îlots en mer de Chine méridionale (où le Vietnam, les Philippines et la Malaisie ont des prétentions rivales).

L’armée chinoise a renforcé à cet effet sa force de dissuasion ces 12 derniers mois, avec un nouveau navire-destroyer lance-missiles (modèle 052D), et un chasseur-bombardier furtif de pointe (modèle J-20). Selon des rumeurs insistantes, la Chine construirait également son troisième porte-avions. Un seul (le « Liaoning ») est actuellement en service, le deuxième étant en phase d’essais.

Le Premier ministre chinois a mis lundi en garde Taïwan, où est actuellement au pouvoir un parti traditionnellement favorable à l’indépendance de l’île : Pékin continuera à promouvoir une « réunification pacifique », mais « défendra fermement la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays et ne tolérera jamais aucune tentative ou action séparatiste ».

Pourtant, la hausse du budget chinois est continue depuis 1989 où il n’était que de quelque 20,2 milliards de dollars. Celle-ci n’est pas de nature à calmer les tensions.

Dans le même temps, la Russie semble, elle aussi, céder aux sirènes des dépenses militaires.

Le Kremlin a démenti vendredi dernier vouloir se lancer dans une nouvelle « course aux armements » avec les États-Unis en vantant ses nouvelles armes « invincibles », et en donnant ainsi une tonalité belliqueuse à des relations russo-américaines déjà catastrophiques. Le président russe a expliqué que la mise au point de nouvelles armes, qu’il a personnellement supervisée, était une réponse à l’activité militaire des États-Unis, et notamment au déploiement de systèmes antimissiles en Europe de l’Est et en Corée du Sud. Il a ainsi présenté de nouveaux types de missiles de croisière ayant une « portée illimitée », ou hypersoniques, des mini-submersibles à propulsion nucléaire, ou encore une arme laser « dont il est trop tôt pour évoquer les détails ». Vladimir Poutine avait ajouté que l’industrie militaire « travaillait depuis longtemps » sur ces nouvelles armes. En 2016, la Russie a consacré 69,2 milliards de dollars à sa défense, soit 5,9% de plus qu’en 2015, selon l’institut de recherche suédois Sipri.

Ceci n’est pas de nature à freiner les États-Unis. Le budget militaire américain s’apprête à connaître une hausse historique pour l’année 2018.

Avec un slogan présidentiel tel que celui de « Make America great again », il n’est guère surprenant de voir le Président Trump faire le choix d’une augmentation sensible du budget de l’armée, une armée qui aurait perdu de son lustre sous les présidences de Barack Obama, même si durant sa campagne, son argumentaire avait tendance à favoriser les dépenses intérieures d’infrastructures, pour répondre à la politique extérieure de son prédécesseur jugé trop interventionniste. Les États-Unis, et il n’a pas fallu attendre Trump pour cela, ont toujours accordé une part importante de leur budget à la défense. En effet, après la sécurité sociale et l’aide médicale, le budget de la défense est le troisième plus important ministère aux États-Unis. Depuis 2007, les États-Unis d’Amérique n’ont jamais investi moins de 600 milliards annuellement dans ce budget. La tendance semble être en continuation avec cette politique.  Dans un premier temps, les chiffres officiels proposés par le gouvernement au Congrès s’élevaient à 639 milliards pour 2018[1], ce qui constituait une hausse de 9 % par rapport au budget de 2017 : une hausse significative, mais pas la plus importante de la décennie, puisqu’il faut remonter pour cela à George W. Bush en 2006-2007, qui avait augmenté le budget militaire de 10,8 %. C’est le Congrès qui a finalement revu le budget à la hausse, en le portant à 700 milliards, au-delà même des exigences de la Maison-Blanche, soit 15 % de plus que le budget de Barack Obama, lors de sa dernière année de présidence. Pour financer cette hausse, des coupes budgétaires seront réalisées sur le ministère des Affaires étrangères et l’Agence de protection de l’environnement.  Une telle augmentation interroge sur les orientations de Washington en matière de politique étrangère. La compétition entre grandes puissances est évidemment à l’ordre du jour. En temps de paix, c’est principalement pour faire pièce à la Chine que les États-Unis choisissent d’appuyer sur la pédale d’accélérateur.

Pour 2019, le budget pourrait s’élever cette fois jusqu’à 716 milliards, couvrant le budget annuel du Pentagone, ainsi que les dépenses pour les conflits en cours et l’entretien de l’arsenal nucléaire américain. Ce budget pourrait couvrir la recherche de nouvelles armes nucléaires, que les États-Unis souhaiteraient mettre au point y compris comme riposte à de très grosses attaques conventionnelles, tandis que la Russie et la Chine modernisent leurs arsenaux nucléaires, et que la Corée du Nord multiplie les provocations.

Et le Japon ? Le projet de budget japonais pour l’année fiscale 2018-2019, approuvé fin décembre 2017, en conseil des ministres, est marqué par un niveau de dépenses militaires record sur fond de tensions liées à la Corée du Nord. Les recettes fiscales, estimées à 51.100 milliards de yens (440 milliards d’euros), devraient atteindre leur plus haut niveau depuis l’année fiscale 1991, à l’époque de l’éclatement de la bulle spéculative. Le gouvernement table sur une croissance du PIB de 1,8% en termes réels ; et de 2,5 % en termes nominaux. Le poste de la défense, en hausse pour la sixième année consécutive, augmente de 1,3 % et se monte à 5 190 milliards de yens (38,6 milliards d’euros).
Au sein de ce budget militaire, le poste le plus important, d’un montant de 137 milliards de yens, vise à renforcer la défense de l’archipel contre une éventuelle attaque de missile balistique de la Corée du Nord. Le Japon va pour cela acheter un système d’interception de portée plus longue, le SM-3 Block IIA, procéder à une modernisation des batteries de missiles Patriot, qui sont la dernière ligne de défense contre des ogives arrivant sur le pays, et lancer les préparatifs pour la construction de stations de radars Aegis. Une enveloppe de 2 200 milliards de yens est également prévue pour lancer l’acquisition de missiles de croisière de moyenne portée capables de frapper des sites en Corée du Nord. Il s’agit de dissuader Pyongyang qui continue ses tests de missiles balistiques, malgré les tensions internationales. S’agit-il également d’une évolution de la posture strictement défensive du Japon ? Peut-être, car le ministre de la Défense, Itsunori Onodera, a déclaré vendredi 2 mars que son ministère étudiait la possibilité de déployer des chasseurs F-35B sur des porte-hélicoptères de la force d’autodéfense maritime, un signe que le Japon abandonne sa position militaire strictement axée sur la défense.

Mais la hausse du budget de défense et le changement de posture sont largement mis en question et débattus. Et quelque 54,8 % de la population est opposée à la révision de la Constitution renonçant à la guerre comme le souhaite le Premier ministre Shinizo Abe, en hausse de 6,2 points par rapport à l’enquête précédente réalisée en décembre.

S’il y a course aux armements, le Japon n’en est donc pas le principal responsable, même si la hausse de son budget de défense peut servir à « justifier » les hausses chinoises et celles d’autres États…

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[1] U.S DEPARTEMENT OF DEFENSE, DoD Releases Fiscal Year 2018 Budget Proposal, 23 mai 2017.
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