20.11.2024
Afghanistan : l’impasse stratégique de l’Occident
Interview
1 février 2018
Les attentats meurtriers de ces derniers jours ont brutalement rappelé le statut d’Etat failli de l’Afghanistan. Après plus de 16 année d’interventionnisme, force est de constater que, malgré le soutien militaire et politique de la communauté internationale, les Talibans n’ont jamais été autant en position de force. En parallèle, Daech a fait de ce pays sa nouvelle terre de djihad après ses défaites militaire en Irak et Syrie. Pour nous éclairer, l’analyse de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS, sur la situation.
Les attentats meurtriers de ces derniers jours interrogent sur le caractère dissuasif de la présence des contingents internationaux de la Mission de soutien ainsi que sur le bilan de la formation des forces de sécurité afghanes. Pourquoi l’Afghanistan est-elle si durement frappée par les attentats ? Le pays a-t-il un appareil sécuritaire ?
Par leur densité, les attentats de ces derniers jours ont aussi bien frappé l’opinion afghane, qu’internationale. En une semaine, c’est plusieurs centaines de personnes qui ont été tuées, à Kaboul et en province. Ces attaques-suicides semblent être une réponse des Talibans et de Daech à la présence étrangère en Afghanistan. Elles ont été préparées minutieusement, et depuis longtemps, car on ne décide pas du jour au lendemain d’attaquer ou de se faire exploser dans un endroit stratégique, qui plus est, dans une capitale bouclée par les différentes forces en présence.
Les Talibans ont notamment projeté cette attaque comme une réponse à la stratégie de Donald Trump. Celle-ci se décline en un renforcement de la présence américaine et par des pressions sur le Pakistan. Le président américain a ainsi annoncé vouloir envoyer 3000 soldats supplémentaires en Afghanistan, pour porter à plus de 10.000 le total des effectifs. Pour rappel, il y avait encore 100.000 soldats américains en 2014, et jusqu’à 150.000 unités déployées en tenant compte des autres contingents étrangers. Le contexte est, en réalité, celui d’un redéploiement, faisant suite à un désengagement progressif mais massif.
Quant aux pressions sur Islamabad, cela peut s’exercer sur le montant de l’aide civile et militaire jusqu’à une intervention directe en zone tribale sur le sol pakistanais. C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs mois, les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan se sont brusquement tendues.
Depuis les avertissements de Donald Trump, les Talibans avaient promis de « transformer l’Afghanistan en cimetière américain ». Cette réplique des Talibans est plus ou moins un message interposé du Pakistan à l’égard des Etats-Unis.
La gestion de ces attentats n’a rendu que plus visible la crise politique de l’Afghanistan. Quelle est la situation aujourd’hui, alors que les Talibans semblent en position de force dans le pays avec une occupation de plus de 40% du territoire et que d’autres organisations terroristes sont présentes sur le territoire ?
La situation politique et sécuritaire du pays favorise de manière objective la montée en puissance des Talibans, et aussi parallèlement celle de Daech. Si des progrès ont été constatés, notamment au niveau de l’équipement qui est quasiment similaire à celui des marines américains et de l’émergence d’une force aérienne, le gouvernement central s’est illustré par son incapacité à assurer la sécurité dans la capitale. On peut donc s’interroger sur l’effectivité des mesures de sécurité engagées. De telles actions n’auraient pas pu être avoir lieu sans une complicité au sein du pouvoir politique. Lors de l’attentat de l’Hôtel Intercontinental, le ministre de l’Intérieur avait reconnu que cela avait été planifié avec un soutien interne.
A cela s’ajoute un élément nouveau et potentiellement dangereux. Il existe, en effet, des contradictions entre les différentes factions du régime. Ce dernier a toujours été faible politiquement et n’a pas de légitimité électorale. Certains grands gouverneurs ne reconnaissent plus l’autorité du chef de l’Etat. A titre d’exemple, le Général Atta Muhammad Nur, le puissant gouverneur de la province de Balkh en Afghanistan, a été limogé par le chef de l’Etat. Celui-ci n’a pas accepté sa démission et a mobilisé ses partisans pour contester l’autorité présidentielle. Cela a produit un effet de contagion car le puissant chef de la police de Kandahar, citadelle historique des Talibans, s’est également opposé au pouvoir central, car venant d’un clan pachtoune et rival du président de la république, Ashraf Ghani.
Ces crises ont eu un tel impact politique que même la Maison-Blanche a dû intervenir pour trouver une solution politique. Or, pour l’instant, ces tentatives ont été mises en échec. Les Talibans ont été très au fait de ces secousses politiques qui ont contribué à leur renforcement, ainsi qu’à la montée en puissance de Daech dont il ne faut pas oublier que deux des quatre attentats commis l’ont été par cette organisation.
La nécessité d’une intégration des insurgés à une solution négociée émerge de plus en plus sur les modalités de règlement d’un conflit qui perdure depuis plus de 25 ans. Certaines factions sont-elles favorables à des pourparlers ? Existe-t-il une solution politique pour l’Afghanistan ?
Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il n’y aura pas de solution militaire au conflit afghan qui perdure depuis plus de 16 ans. Malgré la débauche de dépenses et de moyens, l’OTAN n’a pas réussi à vaincre militairement les Talibans. L’organisation a été finalement obligée de procéder à un retrait de ses troupes pour contribuer à l’émergence d’une solution politique qui n’existe toujours pas. Barack Obama avait favorisé cette solution en laissant les Talibans ouvrir un bureau politique au Qatar. Il a même libéré plusieurs de leurs chefs pour favoriser des discussions. Il y a deux ans, deux réunions s’étaient tenues au Pakistan entre les Talibans et le gouvernement de Kaboul, avec le concours de Washington et Pékin.
Tout le monde était d’accord pour avancer, mais le problème actuel est que les Talibans sont de plus en plus exigeants, car ils profitent des dissensions et de la faiblesse du gouvernement de Kaboul. Ils savent que les Américains ne peuvent plus être présents avec des dizaines de milliers d’effectifs, comme cela pouvait être le cas il y a encore quelques années. Les Talibans acceptent le principe d’une négociation, mais posent comme préalable le retrait total des troupes américaines. Ils avaient, il fut un temps, abandonné cette revendication, pour démarrer des négociations. Au cours de celles-ci, les Américains auraient pu se retirer. Mais il y a eu un tournant avec l’élection de Donald Trump et ses déclarations vis-à-vis du Pakistan et des Talibans. Tout cela a eu pour effet de durcir leur position.
Concernant la durée du conflit, les Américains peuvent supporter la guerre telle qu’elle se déroule aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans une période où le pays dépensait plus de 100 milliards de dollars annuels. Cette guerre ne coûte plus autant, ni en hommes, ni en argent. En parallèle, l’Afghanistan reste une porte d’influence pour Washington. Ce pays est frontalier avec l’Iran, avec la Russie via l’Asie centrale, la Chine et le Pakistan. C’est pour cette raisons que les généraux qui entourent Trump à la Maison-Blanche, l’on convaincu de maintenir une présence militaire alors qu’il voulait se désengager. L’impasse est actuellement idéologique. D’un côté, nous avons les Talibans qui se durcissent, de l’autre côté Donald Trump fait de même.
En dehors de l’impasse militaire, de plus en plus d’observateurs pensent qu’un processus de sortie de crise ne pourra émerger que dans un cadre régional, c’est-à-dire avec la participation des pays voisins : Iran, Chine, Inde, Pakistan, Russie. Une solution politique pourrait être trouvée sous le patronage de ces pays, mais pour l’heure, les Américains sont dans la rivalité. Ils rejettent toute participation de la Russie à d’éventuelles discussions.
Le 17 janvier, la Russie, d’abord par une déclaration de son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, avait intimé aux Talibans et au gouvernement de négocier. Or, quelques heures après, Washington était intervenu, arguant que Moscou n’avait rien à voir dans ce dossier. Aujourd’hui, les Etats-Unis ciblent désormais le Pakistan, et soupçonnent l’Iran, la Russie et la Chine d’œuvrer contre la présence américaine en Afghanistan.
Cette situation ne coûte pas beaucoup aux Américains sur le plan économique et politique, mais coûte énormément à la population afghane.