ANALYSES

Forum de Davos : au-delà du « business as usual », une édition (géo) politique

Interview
28 janvier 2018
Le point de vue de Sylvie Matelly


« America first », « Choose France », « Go global », ces slogans utilisés par les dirigeants politiques pour promouvoir l’attractivité économique de leur pays tendent à affirmer une dimension de puissance de plus en plus assumée. Dans un environnement international où la conjoncture est annonciatrice d’une reprise économique. Les États rivalisent dans leur communication et stratégie politique pour en tirer les bénéfices. Cela serait ignorer le risque géopolitique au sein de cette période de reprise de la croissance mondiale et dont les milieux d’affaires semblent avoir pris toute l’ampleur dans cette édition 2018 du Forum de Davos. Pour nous éclairer, le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe à l’IRIS.

Au-delà de la dimension communicationnelle « Choose France » d’Emmanuel Macron lors de la réception de 140 représentants de firmes multinationales à Versailles, ce lundi, ou encore la Une d’un numéro de The Economist consacrant la France comme pays de l’année 2017, quelle analyse tirer de ce regain d’intérêt pour la France à l’international ?

La communication du Président de la République est assumée et elle s’adosse à une véritable stratégie politique, voire économique. Il s’agit de faire pour rassurer, et donc attirer les investisseurs étrangers. À l’international, en effet, la France était perçue depuis des années comme le bastion irréductible de l’anticapitalisme, le pays où le mot même « libéralisme » était un tabou et dans lequel des partis politiques ouvertement antilibéraux sur le plan économique pouvaient enregistrer de bons scores aux élections, ce qui rendait impossible les réformes politiques sur le libéralisme. Aujourd’hui, Emmanuel Macron veut signifier aux investisseurs étrangers que tout cela a changé. Il a ajouté un nouvel argument, lors de son discours prononcé à Davos, celui que s’il ne réussit pas à redresser le pays et faire bouger les lignes, donc à attirer au préalable les investisseurs étrangers, la prochaine fois, l’extrême droite ou gauche pourrait gagner les élections.

À l’étranger, en effet, l’élection d’Emmanuel Macron a souvent été perçue comme un renouvellement générationnel et des mentalités et le Président surfe sur cette vague.  Par ailleurs, il est vrai que le manque de contestation de sa réforme du marché du travail lui donne des arguments qui vont dans ce sens. Cependant, il sait toutefois que la réalité est plus complexe. Le pays est extrêmement divisé, et il y a urgence à réussir pour ne pas reproduire des scénarios comme le Brexit au Royaume-Uni, ou l’élection de Trump aux États-Unis.

Faire venir des entreprises étrangères en les invitant à investir dans le pays, permet au chef de l’État de monétiser ce gain politique en leur expliquant qu’une véritable transformation peut s’opérer, mais que cela ne pourra se concrétiser sans que les entreprises étrangères y prennent une part active. Mais surtout, que le défi dépasse la seule question économique et/ou nationale. La question qui se pose ensuite est de savoir si ce discours fonctionne. Certes pour partie, et le nombre d’entreprises (mais surtout la qualité de celles-ci) ayant répondu présentes à son invitation à Versailles en est une illustration. Pour autant, et comme souvent pour ce qui le concerne, il bénéficie également d’un bon alignement des planètes. La France donne en ce moment une impression de stabilité et de détermination dans l’action, aussi parce que le Royaume-Uni et l’Allemagne sont affaiblis, et que d’autres pays en Europe et ailleurs sont dominés par des populismes risqués et réactionnaires.

Dans un contexte où l’économie redémarre vraisemblablement plus vite que prévu, si on se fie aux prévisions revues à la hausse les unes après les autres, les hommes d’affaires sont avides d’investissements et de profits. Un pays qui est perçu comme un îlot de stabilité politique et économique devient alors attractif. Cela, Emmanuel Macron l’a très bien compris et il compte en profiter un maximum.

Quant à la réalité de cette embellie ou renouveau, il ne faut pas faire abstraction de la situation économique et commerciale de l’Allemagne. Celle-ci engrange des excédents commerciaux qui sont numéro 2 dans le monde, derrière les excédents chinois. Or, pour l’instant, la France n’arrive pas à réduire une balance fortement déficitaire. Mais il est vrai que les entreprises françaises commencent à mieux se positionner à l’international, à gagner des parts de marché, notamment en Chine où elles talonnent l’Allemagne. Il faut aussi engager des réformes afin de mieux les accompagner dans ce sens pour véritablement convaincre.

Toutefois, il importe de prendre également en compte le fait que cette perception dynamique provient du caractère relatif de l’économie qui se base avant tout sur la confiance. Et cette confiance crée ce que l’on appelle dans le jargon « des anticipations auto-réalisatrices ». Si les hommes d’affaires sont persuadés que la France est en train de changer, il est alors fort probable que la France va changer.   Si pour eux la conjoncture est au vert pour investir, et parce qu’ils vont investir et parier là-dessus, il est également probable que la situation économique du pays s’améliore.

Rapatriement massif de capitaux étrangers, menace de taxations élevées sur les importations étrangères, retraits et renégociation d’accords au seul bénéfice des intérêts américains : quel sens donner à la politique néo-mercantiliste de Donald Trump ? Quel peut en être l’impact à l’international ?

La politique économique et commerciale de Donald Trump ne nous surprend guère. Ce qui est édifiant, c’est le temps qu’il a mis pour matérialiser sa doctrine qui était, il ne faut pas l’oublier, au cœur des discours et de sa campagne. Tout le monde était sûr d’une chose : Donald Trump, au moins en parole, souhaitait relocaliser et attirer les entreprises américaines, ainsi que les investisseurs étrangers aux États-Unis.

Dès son élection, la bourse de Wall Street avait pris quelques points et les analystes en avaient conclu que les investisseurs pariaient réellement sur un retour d’une croissance « Made in USA », ainsi qu’un retour des capitaux aux États-Unis.

L’objectif de Donald Trump est de remettre au travail toute une frange de la population américaine, vivant loin des grandes villes côtières, dans des régions sinistrées et enclavées. C’est une main-d’œuvre peu qualifiée et oubliée depuis des décennies qui vit très mal la réussite d’une partie de l’immigration. Pourtant, sans investissement dans les infrastructures ou la formation, il est peu probable que cela fonctionne. Les entreprises qui réinvestiront aux États-Unis ne le feront probablement pas dans ces régions, et il est utile de rappeler que le retour de certaines productions dans le pays ne date pas de l’élection de Trump. Cela créera probablement encore plus de colère et de frustrations.

Le risque porte également sur les restrictions à l’immigration, car rien ne nous dit que les Américains, aussi peu qualifiés soient-ils, veuillent prendre les emplois de ces immigrés qu’on renverrait dans leurs pays. L’expérience a d’ailleurs coupé court dans certains États fédérés  où des lois restreignant la possibilité de travailler pour les immigrés ont tourné court.

À l’international, il est en revanche plus compliqué d’élaborer des prévisions sur l’impact de cette politique. Dans le cas d’une relocalisation massive, il pourrait en effet y avoir des conséquences. On est malgré tout dans un contexte qui paraît perméable à cette hypothèse pour au moins deux raisons. Tout d’abord, la croissance économique est de retour, les entreprises voient émerger de nouveaux marchés de par le monde. C’est le cas, par exemple, de la Chine où le marché intérieur est loin d’être comblé par les acteurs privés nationaux.

Cette politique est aussi profondément mercantiliste avec les risques qu’elle peut présenter si elle est menée à son terme de conduire à une guerre des monnaies ou une guerre commerciale entre les États-Unis et ses principaux partenaires économiques, Chine et Europe en tête.

À cela s’ajoute un clivage qui est en train de se creuser entre l’Ancien monde au sein duquel on pourrait ranger les États-Unis et le Royaume-Uni dans une moindre mesure, et d’un autre côté avec à sa tête la Chine, l’Inde, le Canada – comme on a pu l’observer au Forum de Davos – qui seraient les défenseurs d’un monde ouvert. Les Européens ont d’ailleurs un intérêt majeur à se rallier au dernier groupe. La politique économique et commerciale des États-Unis risque avant tout de coûter très cher aux citoyens et contribuables américains.

« Construire un avenir commun dans un monde fracturé ». Quels étaient les principaux enjeux de cette édition du Forum de Davos qui tend à donner une prépondérance à l’environnement géopolitique sur la conjoncture économique ? Quel sens donner à la participation des États-Unis après 18 années d’absence, et qui plus est, dans un contexte de divergences sur la gouvernance économique et financière internationale ?

Il y a deux aspects à distinguer dans cette édition du Forum de Davos et tout d’abord le titre. Depuis 2008, on sent qu’il y a une certaine gêne des grandes entreprises, ces « happy few » de la mondialisation, et que quelque part, il faudrait afficher son inquiétude dans un monde qui ne tournerait pas rond. Simplement, au-delà des effets d’annonce, 10 ans plus tard, l’on se rend compte que les choses n’ont pas beaucoup changé, voire que la situation s’est aggravée. Si on voulait caricaturer la situation, on pourrait dire que les riches sont toujours plus riches et paient toujours moins d’impôts, alors même que tout cela est régulièrement dénoncé à Davos. Encore cette année, le Président chinois ou le chef du gouvernement canadien ont milité pour une croissance plus ouverte, mais aussi « solidaire » …

Une différence peut-être cette année, les sévères critiques tous azimuts, auxquelles sont confrontées les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon qui constituent quatre entreprises les plus puissantes du monde de l’internet), et autres entreprises du numérique présentes à Davos. Est-ce le signe d’une évolution des mentalités ? On a envie d’y croire, car au-delà de la rhétorique, l’indignation prend de l’ampleur y compris aux États-Unis.

En revanche, et c’est un facteur majeur, dans un monde où la croissance économique est de retour, les plus grandes menaces qui peuvent peser sur cette conjoncture favorable sont d’ordre géopolitique. Durant des décennies, les économistes ont raisonné en usant de la locution « toutes choses étant égales par ailleurs ». Ces raisonnements étaient fondés sur des anticipations rationnelles, mais hors de toute contextualisation de l’environnement international. Cela n’est plus possible aujourd’hui. C’est initialement le marché des matières premières qui a fait comprendre que, derrière la théorie économique, il y avait des enjeux stratégiques non négligeables. Les entreprises sont d’ailleurs de plus en plus menacées par les risques géopolitiques, comme l’illustrent les affaires Lafarge ou encore Alstom.

Concernant la venue de Donald Trump, ce vendredi, pour la clôture du Forum, on peut émettre l’hypothèse qu’il a très peu apprécié le discours du président chinois Xi Jin Ping lors de la dernière édition l’an passé. Ce dernier s’était en effet présenté comme le chantre du libéralisme donnant à l’audience « une leçon de mondialisation » ce qui est bien évidemment cynique de la part de sa part. Ce discours voulant faire des États-Unis une nation du repli sur soi était déjà à l’œuvre à la dernière conférence annuelle de l’OMC à Buenos Aires au mois de décembre. Le représentant au commerce des États-Unis, qui est un proche de l’actuel président, avait rendu la pareille aux Chinois en expliquant que les États-Unis n’étaient pas un pays fermé, mais libre-échangiste, mais que lorsqu’on leur imposait des barrières ils appliquaient le principe de réciprocité. L’objectif est ainsi avant tout de ne pas laisser le devant de la scène occupé par les Chinois. À ce titre sa venue au discours de fermeture est tout sauf anodine de sa part : il souhaite avoir le dernier mot. Il souhaite peut-être également rassurer les milieux d’affaires, ou au contraire, leur mettre la pression et les menacer de sanctions si ces derniers ne suivaient pas ses traces. Donald Trump est aussi un businessman, probablement un habitué de ce forum lui et ses équipes. Il se rendra à Davos pour discuter et échanger avec des personnes qu’il connaît et qu’il a sans doute côtoyées quand il était aux affaires. Sur les dossiers économiques et commerciaux majeurs, la visibilité est très faible. Comme mentionné plus haut, sa présence se justifie avant tout pour ne pas laisser les applaudissements aux Chinois.
Sur la même thématique