19.11.2024
Condamnation de l’ex-Président Lula en appel : corruption ou éviction politique ?
Interview
26 janvier 2018
Alors que l’ex-Président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva avait été condamné à 9 ans et demi de prison au mois de juillet dernier, le procès en appel qui s’est tenu ce mercredi a finalement débouché sur un alourdissement de la condamnation initiale, soit 12 ans de prison dans le cadre d’une affaire de corruption avec la société de BTP OAS. Derrière cette décision de justice appuyée par le controversé juge Sergio Moro se dessine des enjeux politiques qu’il importe de souligner alors que les prochaines élections présidentielles doivent se tenir au mois d’octobre. Pour nous éclairer le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
Quels étaient les enjeux de la tenue du procès de l’ex-président Lula ? Quelle est la réalité des allégations des soutiens de Lula ainsi que d’une lettre émanant d’une dizaine de parlementaires américains dénonçant la tournure politique de cette affaire judiciaire ?
Il est important d’examiner au-delà du verdict – proclamé en juillet 2018 pour une affaire de corruption avec la société de BTP OAS – les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’instruction de ce procès, ainsi que le contexte politique dans lequel il s’inscrivait. L’ex-président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva, avait fait l’objet d’écoutes téléphoniques, notamment dans des conversations avec l’ex-présidente Dilma Roussef. Or, comme dans tous les pays du monde, procéder à des écoutes téléphoniques du Chef de l’État en exercice, exige le respect d’un certain nombre de règles de droit, ce qui n’a pas été le cas. Inacio Lula a été conduit manu militari, à 6h du matin, de son domicile à un commissariat d’aéroport pour sa première audition sur cette affaire, sans avoir reçu au préalable une convocation par courrier recommandé comme cela est de droit dans tous les systèmes judiciaires du monde. La presse en revanche était présente et avait donc été informée.
La condamnation, repose sur la présomption, non pas d’innocence qui doit jouer en faveur de toute personne qui passe devant un tribunal, mais sur une présomption de culpabilité. Le juge a ainsi joué aussi une fonction de procureur. Il a fondé sa condamnation sur une conviction personnelle sans avoir présenté la preuve formelle que l’ex-président Lula serait propriétaire d’un appartement cédé par la société de BTP OAS. Cette conviction repose sur le témoignage d’un ancien cadre de cette société de BTP qui a pu ainsi bénéficier d’une remise de peine. Le juge Sergio Moro, comme ses trois collègues de Porto Alegre ont considéré que ce témoignage avait en lui-même valeur de preuve.
Un procès en appel, suppose une instruction exigeante de la part des juges instructeurs. L’appel présenté par les avocats de l’ex-président brésilien a été déposé devant le Tribunal fédéral régional de Porto Alegre après la condamnation en première instance, en juillet 2018. Ce tribunal a été fermé de Noël 2017 au 22 janvier 2018. Les procédures déposées devant ce tribunal prennent un délai assez long, parfois plusieurs années, selon un magistrat consulté. Or, dans cette affaire, en dépit de la longue pause de fin d’année, le dossier a bénéficié d’un traitement accéléré exceptionnel. Qui plus est il a été l’un des premiers examinés le 24 janvier, 2018 soit deux jours après la réouverture du tribunal.
Un autre élément jette le doute sur le traitement de l’affaire. Il renvoie aux raisons profondes de la destitution de l’ex-présidente Dilma Roussef, victime d’un détournement constitutionnel dans l’optique d’un changement de politique économique et sociale. L’annonce de la condamnation du Président Lula a été saluée par la bourse de Saint Paul qui a gagné 3 points. Le Réal, monnaie brésilienne, a également remonté face au dollar. La confirmation de la sentence condamnant l’ex-président a été saluée par les milieux d’affaire inquiets de son possible retour au pouvoir. En tête des sondages il avait en effet de grandes chances de l’emporter et de remettre au centre de l’action du gouvernement des politiques sociales actives, et une politique commerciale sélective protégeant les intérêts vitaux du pays.
Le Brésil est à l’heure actuelle en situation de fragilité et de crise. Le brutal coup de frein apporté depuis la destitution de Dilma Rousseff aux dépenses sociales, et aux investissements de l’Etat ont provoqué un retour au Brésil des grandes inégalités. La grande pauvreté, la mal nutrition ont réapparu. La délinquance a explosé. Retrouver la voie de la démocratie inclusive, de nouveaux impôts un effort solidaire des catégories supérieures, ainsi que la reprise d’une politique de développement national. Or, le gouvernement actuel s’inscrit dans une démarche socialement égoïste et d’ouverture aux capitaux étrangers. La société Embraer, troisième avionneur mondial, va ainsi intégrer le groupe Boeing, les champs pétroliers de Pétrobras, dont les rentrées financières étaient initialement affectées à la politique sociale et d’éducation du pays et de l’Etat de Rio ont été ouverts aux transnationales du pétrole.
Ces enjeux, en toile de fond de la sentence, permettent de questionner la véritable indépendance de la justice brésilienne. Et ce, d’autant plus que les juges ont un niveau et un style de vie qui les rapprochent plutôt des élites économiques que du Brésilien moyen. Le quotidien Globo de Rio a publié le 17 décembre dernier un papier sur le salaire des juges : alors que le salaire moyen de la profession est plafonné à 33000 Reais, soit 11000 euros, 71% des juges gagneraient entre 33000 et 68000 Réais Cette distorsion dans le niveau de vie et donc la perception des réalités économiques et sociales font dire à beaucoup que la justice brésilienne est mieux à même de comprendre les arguments des élites économiques que ceux du Brésilien moyen.
Ces événements ont révélé une corruption systémique à toute une génération d’élus et de représentants de l’État, tous partis confondus. Assiste-t-on à la faillite structurelle de la démocratie brésilienne ?
L’actuel système politique brésilien est issu de la Constitution de 1988 qui a fragmenté la représentation politique. La corruption est inhérente au fonctionnement des institutions du pays. Les grands partis présidentiels que sont le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) ou le Parti des travailleurs (PT) successivement au pouvoir n’ont jamais eu plus de 90 députés sur 517. Ils sont contraints à fabriquer des alliances pour constituer des majorités avec des caciques locaux demandant en échange de leur soutien des compensations.
Ce système s’est perpétué. Vouloir le réformer signifierait une modification de la loi électorale et donc de la Constitution. Or, les députés brésiliens sont majoritairement issus de baronnies locales. Ils ne vont certainement pas se tirer une balle dans le pied et se suicider politiquement et financièrement en introduisant plus de transparence et d’efficacité démocratique dans la Constitution.
Dans un contexte politique en tension, la corruption est par ailleurs un outil permettant de fonder éthiquement un changement de politique. Au-delà des affaires de ces dernières années, ces pratiques ont largement été utilisées au Brésil dans le passé. Ce fut le cas en 1954 contre le Président Getúlio Vargas qui avait pris des mesures en faveur des catégories les plus défavorisées et qui finalement avait été contraint au suicide sous la pression d’accusations de corruption.
En 1964, le Président João Goulart avait également lancé des politiques audacieuses en matière sociale. Les militaires en prenant le pouvoir, l’ont écarté et avec lui ses ambitions égalitaires. On assiste actuellement de la part des groupes économiques dominant, appuyés par le principal média brésilien Globo à l’association corruption /politique pour écarter Lula et le PT du pouvoir et dénoncer toute initiative contestant la politique économique et sociale du gouvernement Temer.
Quel est l’impact de ces événements sur la campagne pour les prochaines élections présidentielles d’octobre ? Qu’adviendra-t-il si Lula est condamné ?
Si l’ex-président Lula est écarté des élections d’octobre 2018, le sens de la présidentielle sera faussé. La gauche n’aura pas le temps de trouver un candidat crédible. La droite traditionnelle, qui s’active pour empêcher la présence d’une option de gauche, paradoxalement n’a pas davantage de candidat crédible. Qui plus est, beaucoup de ses responsables font l’objet d’accusations de corruption. A la différence du PT, le statut de leurs collègues sénateurs et députés les protègent de toute poursuite effective. L’actuel Président Michel Temer, Aecio Neves, ancien président du PSDB, candidat aux élections présidentielles de 2014, l’ancien gouverneur et candidat actuel du PSDB aux présidentielles, Geraldo Alckmin, ex-gouverneur PSDB de l’Etat de Sao Paulo, ne seront pas jugés pour l’instant.
On assiste aujourd’hui à un retrait du Brésilien lambda de la vie politique. Sous l’effet des campagnes de dénigrement des partis et des élus de la part de la grande presse. Mais aussi en raison des difficultés croissante de la vie quotidienne. Ce décrochage civique pourrait favoriser un candidat sans parti, apolitique, ancien militaire soutenu par les églises évangélistes, Jair Bolsonaro. Il a des positions fermes contre la législation sur l’avortement, contre le mariage des personnes de même sexe. Il privilégie pour régler les problèmes du Brésil la voie sécuritaire. Ce candidat est pour l’instant second dans les sondages derrière l’ex-Président Lula avec 20% des intentions de vote. Face au vide qui pourrait se produire à droite et à gauche, il pourrait apparaître de manière inattendue comme le candidat susceptible d’être élu aux prochaines élections présidentielles.