20.11.2024
L’Europe à l’épreuve d’un nationalisme identitaire
Presse
21 décembre 2017
En Autriche, l’extrême-droite vient d’accéder au pouvoir et obtient des ministères régaliens (l’Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères), tandis que la Pologne est l’objet d’un fait sans précédent : le déclenchement de la procédure de sanction prévue par l’article 7 du traité UE. Selon la chercheure Anaïs Voy-Gillis, membre de Chronik.fr, « trois facteurs permettent d’expliquer cette montée de l’extrême droite. Elle repose d’abord sur une crise de la représentativité (…). Ensuite, l’Europe a été touchée très massivement par une crise des migrants, et l’on constate un rejet de l’islam et de l’immigration. Enfin, les citoyens ont le sentiment que leur pays est dépossédé de son attribut de souveraineté, au profit d’entités comme la finance. »
DES RÉPONSES SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES EUROPÉENS
Dans une perspective plus large, les réactions suscitées par la globalisation trahissent un profond désenchantement. Ce sentiment n’est pas nouveau. La « globalisation heureuse » et la consécration universelle de la « démocratie de marché », pour reprendre l’expression de Francis Fukuyama, s’avèrent illusoires. La vague néolibérale a neutralisé le projet européen et, partant, l’ambition de réactiver un idéal supranational commun. Le sentiment de vide s’explique par l’absence de perspective politique alternative et par un doute grandissant sur l’universalité des valeurs humaines, celles qui sont censées nous unir dans un même destin…
Convaincu de sa propre existence, l’Occident craint aussi sa propre fin, du moins son déclin. Le sentiment d’être « en danger » ou d’être menacé par la civilisation islamique alimente la montée en puissance d’une idéologie « occidentaliste »…
Est-ce que l’Union européenne est armée pour faire face à ce phénomène ? Juridiquement, les traités institutifs de l’UE fondent ses institutions à s’immiscer dans les affaires internes de ses États membres, dès lors que l’action de ces derniers (risque de) porte(r) atteinte aux valeurs fondamentales de l’organisation politique, à l’identité commune de ses membres. Ainsi, selon l’article 2 du traité UE, « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
Or non seulement tout État tiers désireux d’adhérer à l’Union doit veiller à respecter ces valeurs (art. 49 du traité de l’UE), mais une obligation analogue – de nature politique – pèse sur les États membres. Un dispositif de contrôle et de sanction visant à préserver l’intégrité des valeurs de l’Union est prévu par l’article 7 du traité. Deux procédures – à la fois distinctes et cumulatives – de sanction sont ainsi instituées. L’une est préventive et peut être enclenchée par la Commission en cas de « risque clair de violation grave », tandis que l’autre ne peut être actionnée que lorsque la violation de ces valeurs communes est « grave et persistante. »
UNE SOLUTION PLUS POLITIQUE QUE JURIDIQUE
Le champ d’application du mécanisme visé à l’article 7 a un caractère général et ne s’applique pas seulement aux actions menées dans la mise en œuvre du droit de l’Union. L’article 7, §3, précise que lorsque la violation « grave et persistante » est constatée, le Conseil de l’UE, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains droits découlant de l’application des traités à l’État membre en cause, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil de l’UE. Reste que la complexité de cette procédure de sanction la rend de facto inapplicable et donc inefficace. Le pouvoir polonais ne le sait que trop…
Transpartisane, la vague mêlée d’europhobie et d’euroscepticisme ne concerne pas les seuls « partis extrémistes ».
De toute manière, la solution n’est pas d’ordre juridique, mais politique. La vague d’euroscepticisme se nourrit du sentiment d’impuissance de l’Union européenne et des doutes sur la « volonté de construire ensemble » pour mieux se replier sur soi-même. Entre le Brexit, la montée des forces centrifuges et la tentation de la démondialisation, l’Histoire contredit le sens de la construction européenne. Pis, l’intégration, la fédéralisation et la supranationalité semblent appartenir à un passé révolu. La frontière, la nation et la souveraineté, tels sont les éléments constitutifs du triptyque du nouvel ordre européen. Retour au vieux paradigme de l’État-nation souverain .. plongé désormais dans un monde globalisé, structuré autour de pôles de puissances et dans lequel les Européens se cherchent encore et toujours…
En France, ce mouvement «réactionnaire» – au sens littéral du terme – est entretenu par des responsables politiques en général, et des candidats à la présidentielle en particulier, incapables de conjuguer l’Europe au futur. Trop souvent enfermés dans un discours franco-français, ils semblent vivre en autarcie, dans un huis clos stato-national, hors du monde, loin de l’Europe. Pis, lorsque le sujet est abordé, le simplisme et la binarité tendent à l’emporter : pour ou contre l’Union européenne, l’euro, une défense et une diplomatie européennes, etc. Au-delà du clivage transpartisan entre souverainistes et pro-européens, nulle vision constructive, ni stratégie d’ensemble ne se dégage clairement en faveur d’une croyance dans un projet européen à redéfinir.
L’incapacité politique à produire du sens et à définir les ressorts d’un destin commun nourrit les mouvements de contestation vis-à-vis d’une chose européenne perçue comme une matière aussi floue qu’inconsistante, incapable de protéger et de décider, illisible et inaudible. Transpartisane, la vague mêlée d’europhobie et d’euroscepticisme ne concerne pas les seuls «partis extrémistes». En témoigne le retour en force de l’idée de frontière ou d’identité nationale au sein des droites conservatrices nationales. Une tendance propice aux alliances avec l’extrême droite, comme l’atteste le nouveau gouvernement autrichien. Un spectre auquel la France n’échappe pas non plus…