19.11.2024
Le Honduras : de nouveau l’arrière-cour d’enjeux régionaux ?
Interview
7 décembre 2017
L’impasse électorale qui paralyse le Honduras suite à la contestation par l’opposition des résultats du scrutin présidentiel, ramène ce petit pays gangréné par la criminalité organisée à son passé politique récent continuellement traversé de coup de forces. Pour nous éclairer, le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS.
Quels étaient les enjeux de l’élection présidentielle hondurienne qui a tourné à la crise politique ?
L’enjeu principal de cette élection était de savoir si ce pays allait revenir à une normalité démocratique dont il était sorti depuis 2009 avec le coup d’Etat légal soutenu par le Congrès et la Cour suprême qui avait conduit à l’éviction du président élu Manuel Zelaya. En 2013, l’élection présidentielle qui a vu l’accession au pouvoir de Juan Orlando Hernández, toujours candidat de la droite (Parti national) en 2017, souffrait déjà d’un défaut de légitimité. D’une part, ce sont en effet les mêmes autorités instigatrices du coup d’Etat de 2009 qui ont porté ce candidat à la présidence de la république. D’autre part, ces élections de 2013 ont été entachées de lourdes suspicions de fraude dont la gauche, le camp de l’ancien président Zelaya à l’époque mené par sa femme Xiomara Castro (Parti Liberté et refondation -Libre), a été victime. Le Honduras vit ainsi une crise démocratique de haute intensité depuis 2009.
Les élections présidentielles de 2017 devaient donc répondre à une question : était-il possible au Honduras d’organiser des élections « propres » afin qu’émerge la possibilité d’une véritable alternance au pouvoir dans le respect de la souveraineté populaire ? Ce scénario est actuellement entravé par la situation que nous connaissons.
A l’instar d’autres pays de la région, le contexte sociopolitique et économique du Honduras a-t-il constitué un terreau favorable à cette crise ?
Oui, bien sûr. Le contexte économique du Honduras (moins de 9 millions d’habitants) est celui d’un pays qui est touché de plein fouet par les maux qui secouent la région, à savoir la pauvreté avec un taux avoisinant les 65% de la population, des inégalités très marquées et une forte immigration vers les Etats-Unis. Un facteur majeur des difficultés du pays est la question du narcotrafic et de la violence qu’il engendre. Le Honduras est le pays des « Maras », ces gangs qui règnent sur le narco. Il détient une triste palme : celle du taux d’homicide le plus élevé au monde.
Avec le Guatemala et le Salvador, le Honduras fait partie de ce que l’on appelle le « Triangle du Nord » d’Amérique centrale, point de fixation du narcotrafic continental où la drogue transite de la Colombie vers les Etats-Unis. Suite à l’échec de la militarisation de la lutte contre le narcotrafic au Mexique, qui a abouti à une extension des territoires touchés par les activités des cartels et des gangs, ce Triangle est devenu un centre de la criminalité organisée centre-américaine. Ce contexte produit un système politique défectueux, corrompu et poreux à la criminalité organisée qui, malheureusement, constitue son écosystème.
Cela conduit à des pratiques électorales délictueuses dont le pays est historiquement coutumier.
Comment se positionne le Honduras dans le paysage géopolitique latino-américain ? Cette élection est-elle un enjeu pour la stabilité de la région ?
C’est en effet un enjeu en termes de stabilité régionale parce qu’il s’agit tout d’abord d’un petit pays qui est une place forte de l’arrière-cour des Etats-Unis. Ces derniers le considèrent comme une extension de leur politique étrangère. Ils y sont également présents militairement pour lutter contre le narcotrafic.
Dans ce contexte, le Honduras est le pays par lequel sont arrivées les premières secousses d’instabilité régionale en 2009 parce que c’est de là qu’ont été initiées les premières formes de coups d’Etat institutionnels contre des gouvernements progressistes qui entendaient mettre en place des programmes de rupture avec les désidératas de Washington en matière économique et d’alliances régionales. En 2009, Manuel Zelaya souhaitait mettre en place des politiques de lutte contre la pauvreté moins favorables aux intérêts des entreprises nationales et internationales et avait décidé d’intégrer le Honduras à l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) fondée par Cuba et le Venezuela. Le modèle du « coup d’Etat légal » de 2009 a servi d’inspiration à d’autres renversements par la suite, notamment au Paraguay en 2012 (Fernando Lugo) et même au Brésil en 2016 (Dilma Rousseff).
La situation actuelle confirme les lignes de fracture régionales et rappelle les choix radicaux que peuvent parfois faire les droites latino-américaines pour empêcher la prise de fonction de gouvernements de gauche ou de centre-gauche.
Aujourd’hui, la situation est incertaine au Honduras. L’Organisation des Etats américains (OEA) et l’Union européenne peuvent difficilement défendre un pouvoir à la légitimité fragile et si étroitement associé à la corruption. Ce pouvoir vaut-il une crise régionale, d’autant que l’opposition et son candidat en particulier, Salvador Nasralla, ne proposent plus un programme radical et de rupture avec les intérêts de Washington ?
Ainsi, l’OEA et l’UE souhaitent un recomptage des voix et confirment l’existence de nombreuses irrégularités dans le vote du 26 novembre, ce qui va dans le sens des demandes de l’opposition regroupée au sein de l’Alliance d’opposition contre la dictature. Mais cette dernière exige désormais un second tour ou l’organisation d’une nouvelle élection. Contraint, Juan Orlando Hernández accepte un recomptage, mais refuse une nouvelle élection. Il demande le respect des résultats que donnera le Tribunal électoral sous observation de l’OEA et de l’UE. Or, cette institution n’a pas la confiance de l’opposition.
La crise hondurienne va continuer ces prochains jours.