12.11.2024
Mohamed Ben Salman, prince tout puissant mais responsable des échecs de Ryad sur la scène internationale
Interview
8 novembre 2017
Le prince héritier Mohamed Ben Salman semble vouloir prendre les temps politique et diplomatique saoudien de court en multipliant les initiatives tous azimuts : opération mains propres dans les sphères politico-financières du royaume, pressions sur le Liban, affirmation répétée de son opposition à l’égard de son ennemi régional, l’Iran. Pourtant cette apparente montée en puissance contraste avec les échecs de la politique étrangère qu’il a initié. Pour nous éclairer, le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.
Comment expliquer ce soudain activisme du Prince Mohamed Ben Salman ?
Depuis l’accession sur le trône de son père, Salman bin Abdelaziz Al Saoud, en janvier 2015, après la mort du roi Abdallah, il y a une impressionnante montée en puissance de Mohamed Ben Salman. Ce dernier a en effet alors été nommé chef du cabinet royal, président du Conseil des affaires économiques et du développement et ministre de la Défense. Au cours de l’été dernier, il a été désigné prince héritier, ce qui signifie une modification radicale des règles séculaires de succession en Arabie Saoudite ainsi qu’une responsabilisation croissante du prince héritier dans les affaires politiques.
La vague d’arrestations de ces derniers jours qui a touché des princes, ainsi que les milieux économiques auxquels ils sont étroitement liés, a surpris beaucoup de monde. La raison évoquée de cette purge qui a conduit à de multiples assignations à résidence est le délit de corruption. En réalité, cela ne leurre personne car, sans connaître dans le détail les éléments précis des dossiers à charge, cette action possède en réalité une dimension principalement politique. L’intrication entre sphère politique et économique est en effet structurelle en Arabie saoudite et nombres d’entreprises sont détenues par des membres de familles princières. Cela permet de saisir la signification des arrestations opérées à l’initiative de Mohamed Ben Salman dans la perspective de son accession au trône. C’est la volonté de marginalisation de ceux qui pourraient lui faire de l’ombre, voire le contester, et à une concentration accélérée du pouvoir entre ses mains auxquelles nous assistons.
Quel rôle l’Arabie Saoudite entend-elle se donner dans la région et en a-t-elle les moyens ?
L’élément structurant est le contexte régional marqué par une tension croissante entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Ryad conçoit en effet une véritable obsession à l’encontre de son grand voisin et s’est fixé l’objectif de le contrer en s’affirmant comme le leader du monde arabe ou, en tout cas, de la plus grande partie possible de celui-ci.
Cela permet de saisir pourquoi les Saoudiens ont contraint le Premier ministre libanais, Saad Hariri, à la démission. Cette dernière a été annoncée depuis Ryad, via la chaîne d’information saoudienne Al-Arabiya, directement liée au pouvoir. Que le Premier ministre d’un Etat, théoriquement souverain, soit contraint d’annoncer sa démission sur le sol d’un pays étranger en dit long sur la conception saoudienne des relations internationales et du droit international.
Cela confirme les tensions existantes entre l’Arabie Saoudite et le Liban. Les dirigeants saoudiens avaient affiché leur intention de remodeler les équilibres politique du pays à leur convenance. On se souvient par exemple de leur volonté de participer au projet de modernisation de l’armée libanaise en la finançant massivement. Ce projet a avorté du fait de l’affirmation depuis plusieurs années d’une organisation liée à l’Iran et dont la ligne politique est antagoniste à Ryad, le Hezbollah.
C’est ce dernier qui a permis l’accession au pouvoir, il y a un an, de l’actuel président libanais, Michel Aoun. Cette montée en puissance du Hezbollah a été vécue comme un affront par Ryad qui a tenté de se servir de Saad Hariri pour contrer son influence. Echec patent. Le Hezbollah est une organisation disciplinée, fortement structurée tant politiquement que militairement et apparait désormais comme le pivot central du système politique libanais.
L’éviction du Premier ministre libanais est donc cohérente avec la volonté du royaume saoudien de réorganiser la région sous son égide mais exprime dans le même temps une grande faiblesse.
On peut aussi rappeler l’épisode récent de la crise à l’encontre du Qatar, au mois de juin dernier qui relève strictement de la même logique. La décision saoudienne, appuyée par l’Egypte, les Emirats arabes unis et quelques autres Etats de la région, d’organiser un embargo pour isoler le Qatar, car jugé trop conciliant avec l’Iran, s’avère aussi un échec complet. Le Qatar n’a pas cédé aux exigences et n’est pas à genoux. La Turquie, notamment, procède à son ravitaillement par voie aérienne. En outre, les Etats-Unis, allié stratégique des Saoudiens dans la région mais qui possède une importante base militaire au Qatar, ont demandé à Ryad de calmer le jeu.
Ces multiples initiatives ont finalement toutes montré leurs limites et donnent le sentiment d’une certaine fébrilité du prince Mohamed Ben Salman.
Au-delà de la médiatisation d’un tir de missile en provenance du Yémen et qui a atteint Ryad, quel bilan tirer de l’engagement militaire de l’Arabie saoudite dans le pays ?
Qui peut croire que le Yémen veut attaquer l’Arabie saoudite ? Cette affaire de missile dont on ne connaît pas la réalité précise, ne doit pas occulter l’échec cuisant de l’engagement militaire de l’Arabie Saoudite contre le Yémen depuis 2015. Les bombardements saoudiens qui ont été massifs et indiscriminés n’ont pas réussi à battre militairement les houthistes. Sur le plan politique, les dirigeants saoudiens ont échoué à faire émerger un gouvernement politique alternatif à celui des houthistes et, sur le plan humanitaire, le Yémen connait un terrible désastre. Les bombardements sur des cibles civiles ont été systématiques de la part de l’aviation saoudienne et le Yémen, pays le plus pauvre de la région avant le conflit, est dans une situation infiniment préoccupante. Des millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire et, en parallèle, une épidémie de choléra croît de manière foudroyante. Cela dans un silence médiatique assourdissant.
Ce conflit indique que ce jeune prince, appelé aux plus hautes fonctions en Arabie saoudite, manque cruellement d’expérience et que ses décisions sont marquées du sceau de l’improvisation et de l’inconséquence.