ANALYSES

Le Conseil de Sécurité des Nations unies au Sahel : quels enjeux ?

Tribune
19 octobre 2017
par Ahmedou Ould Abdallah, ancien haut fonctionnaire des Nations unies, Président du Centre pour la Stratégie et la Sécurité dans le Sahel Sahara (Centre4s)


Sous la présidence française, le Conseil de sécurité va visiter cette semaine des Etats du G5 Sahel, un groupement régional composé du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad. Ces pays vivent une crise sécuritaire depuis 2005, année des premières grandes prises d’otages occidentaux et année des attaques armées d’envergure contre les forces de sécurité nationales. Un espace de transit où les trafics divers, en particulier de drogues, de cigarettes et d’êtres humains, se sont progressivement généralisés.

Il est fréquent pour ce principal organe des Nations unies qu’est le Conseil de sécurité de se rendre sur le terrain pour s’informer davantage d’une crise avant de revenir à New York avec plus d’idées de sortie de crises. Précisément, au début de la décennie 2000, le Conseil avait effectué des déplacements remarqués dans des pays alors ravagés par de violentes guerres civiles : Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Libéria, Sierra Leone. Des pays où les Nations unies avaient investi massivement pour la paix à travers le déploiement de Casques bleus et l’assistance humanitaire. Des pays qui sont aujourd’hui plutôt stables ce qui permet l’espoir pour le Sahel.

Marqué par une culture nouvellement importée et fondée sur une suspicion aiguë qui pousse à la fuite en avant, ce Sahel vit simultanément plusieurs crises. La plus médiatisée, et la plus meurtrière, sans être pour autant la plus profonde, est la crise sécuritaire. Elle résulte des attaques des mouvements djihadistes qui sont de plus en plus ‘’des indigènes’’, c’est-à-dire issus ou proches des populations autochtones. Il existe aussi une crise interne aux pays concernés qui alimente la précédente. Face à des dangers réels, la présence et l’utilité des autorités publiques ne sont pas souvent senties ou même perçues par les populations. Les gouvernements se comportent comme si la situation de leur pays était normale et que des efforts de renforcement et d’élargissement de leurs bases politiques n’étaient ni nécessaires ni utiles.

À ces deux déficits s’ajoute un troisième bien plus grave : le déni des réalités. Celui-ci est conforté par une propagande insidieuse et quasi officielle qui attribue l’origine des difficultés des pays et leur gravité à des forces extérieures. Un euphémisme pour désigner ceux qui viennent au secours de nos pays ! Dans la rue et les salons, comme dans les écoles, les populations sont orientées, voire chauffées à blanc contre les partenaires dans une ambiance xénophobe dont les ravages seront encore plus sévères dans le futur.

Au lieu d’appeler à la solidarité avec les alliés extérieurs qui combattent un ennemi commun et d’aider à une plus grande efficacité des troupes nationales et internationales, des campagnes sont menées à travers plusieurs États pour démontrer la connivence entre djihadistes, rebellions et les forces extérieures bilatérales et multilatérales. Aussi incompréhensible que cela puisse paraître c’est dans cet environnement de suspicion que la délégation du Conseil de sécurité se rendra dans les pays du G5 Sahel.

Dans ce contexte, comment aider à résoudre la tragédie de la région ? Le second secrétaire général de l’ONU, le suédois Dag Hammarskjöld aimait dire : « Les Nations unies n’ont pas été créées pour mener l’humanité au Paradis mais pour l’empêcher d’aller en enfer. »

Critiquer cette organisation est tout à fait légitime et reste un exercice facile ce qui le rend fréquent même avant le fameux ‘’machin ‘’du Général de Gaulle. Mais là n’est pas le point. Pour les pays affectés par une crise multidimensionnelle, et pour leurs alliés extérieurs, la priorité doit être de créer de solides fronts internes capables de venir à bout d’un adversaire déterminé et qui ne cesse de prendre plus de place et plus de poids. Ouverte ou insidieuse, la diabolisation des alliés bilatéraux ou internationaux est injuste mais surtout une fuite en avant qui ne sert que des intérêts politiques immédiats. Les gouvernements nationaux ne peuvent utiliser les partenaires extérieurs pour se décharger des responsabilités qu’ils ont vis-à-vis de leurs citoyens. La réécriture de l’histoire est un exercice futile qui a souvent engendré de terribles désastres que les nations du Sahel seraient bien inspirées d’éviter.

En définitive, les Etats du G5 Sahel et leurs alliés doivent s’atteler à réaffirmer à la délégation du  Conseil de sécurité leurs priorités et s’y conformer par leurs décisions et leurs déclarations. Il s’agit tout d’abord de mettre fin à l’insécurité ce qui exige plusieurs mesures dont l’action militaire est un élément essentiel et qu’il faudra cesser de minimiser et encore moins de diaboliser. Pour en assurer l’efficacité, celle-ci a besoin du soutien moral et politique des gouvernements et surtout des opinions publiques nationales. Il s’agit alors d’agir simultanément sur plusieurs fronts à commencer par la restauration de la visibilité et de l’utilité de l’Etat ainsi que de la sauvegarde de ce qui reste de son autorité.

Détribaliser l’administration et les forces de sécurité est l’une des premières mesures que les pays concernés doivent mettre en route afin de stopper le processus de déconstruction des Etats post coloniaux. Une déconstruction qui renforce les bases ethniques et régionales des rébellions.

Le Conseil de sécurité sait qu’il existe des guerres de choix quand des acteurs extérieurs interviennent pour aider un allié, exercer des pressions ou affirmer leur puissance. Ceci étant, dans une région où malgré de grands progrès en matière de liberté d’expression, le Conseil doit rappeler aux gouvernements visités que la sagesse et l’intérêt bien compris de tous sont de constituer un front commun et non d’exposer leurs alliés à la vindicte populaire. À cet égard, et au-delà de la vérité historique, les lancinantes évocations d’agendas secrets des partenaires extérieurs du Sahel ou d’actions de résistance à la colonisation, il y a plus d’un siècle, ne servent pas les priorités actuelles de lutte contre le terrorisme. Ni l’agenda du développement. Et ne permettront pas de faire l’économie des efforts de gouvernance désormais indispensables à fournir à des citoyens plus exigeants.

Comme à son habitude, la délégation du Conseil de sécurité écoutera et discutera avec les autorités nationales et rencontrera sans doute des délégués de la société civile et des personnalités des pays visités. Elle trouvera la manière et le style pour encourager ses interlocuteurs à agir de façon à ce que les gouvernements sahéliens, et leurs partenaires extérieurs, œuvrent ensemble pour atteindre leur objectif commun de retour à la stabilité et au développement. Silences et questions seront les réponses à des affirmations, hors contextes, qui leur seront servis. Toutefois, le message sera amical et donc sincère. Précisément ce qu’il faut pour marginaliser un adversaire de plus en plus confiant car de plus en plus présent dans la région.

Pour les gouvernements visités, ces rencontres avec le Conseil de sécurité sont des occasions importantes non comme opérations de politique intérieure mais pour présenter des explications convaincantes parce que crédibles à un organe politique dont l’influence ne saurait être sous-estimée.

Le financement des forces du G5 Sahel, des troupes des Nations unies et des mesures économiques d’accompagnement se jouera sans doute au cours de cette visite. Familière avec le Sahel et ses problèmes, la présidence française du Conseil de Sécurité peut aider à faire aboutir les demandes des pays visités et, pour le moins, selon la formule consacrée, maintenir le sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil.
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